De Babylone à Einstein |
5 000 ans de théories planétaires |
On définit, en science, une théorie comme étant un ensemble de règles mathématiques et de principes physiques ; par exemple, la théorie de la gravitation prévoit que tous les corps s’attirent, et que la force entre eux est d’autant plus grande que les objets sont massifs, mais diminue selon le carré de la distance qui les sépare. Une « théorie planétaire » est un modèle permettant de décrire la trajectoire des planètes. Elle n’a pas à être parfaitement exacte ni précise, pour autant qu’elle rende compte de la réalité au moins au même niveau que celui des observations ; la NASA ne pourrait certainement pas utiliser une théorie planétaire basée sur des observations faites à l’œil nu… mais les peuples de l’Antiquité n’auraient pas pu apprécier la précision des théories planétaires modernes. On le devine, la finesse d’une théorie planétaire dépend du niveau technologique de la civilisation qui l’a produite, d’où une évolution avec le temps. C’est cette évolution que nous nous proposons ici de découvrir.
Cette page fournit parfois des paramètres précis pour les modèles discutés. En aucun temps ceux-ci ne sont essentiels à la compréhension du texte ; si les mathématiques ne sont pas votre fort, sentez-vous bien libre de sauter ces passages.
Le terme planète désigne à l’origine tout objet céleste dont la position semble changer au fil des jours, semaines, mois, et années : il y en a donc sept, soit le Soleil, la Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, et Saturne. Elles ont été observées et suivies depuis la préhistoire et apparaissent dans les documents écrits très tôt après l’invention ou la découverte de l’écriture par les différentes civilisations du passé. Une liste indiquant le nom de chaque planète « classique » dans diverses langues figure à la fin de cette page.
La première théorie planétaire dont il nous soit parvenu des traces est celle des Babyloniens, un peuple qui vivait dans ce qui est aujourd’hui l’Irak il y a environ 2 500 ans. Utilisant des systèmes d’écriture et de numérotation inventés par les Sumériens, habitants de la même région environ mille ans auparavant, les Babyloniens sont les véritables fondateurs de la science astronomique : un système dans lequel on élabore un modèle mathématique qui explique les observations réalisées.
Il importe ici de préciser certains points qui sont parfois mal compris ou mal expliqués. D’abord, nous venons de mentionner les Sumériens. Certains auteurs affirment que ce peuple avait une grande connaissance de la science astronomique, mais ils se basent sur une mauvaise interprétation des textes cunéiformes par Zacharia Sitchin, un autodidacte qui avait cru discerner certains signes dans les documents cunéiformes. Cependant, la communauté scientifique (incluant les sciences sociales comme la linguistique ou l’histoire) s’entendent pour dire que Sitchin avait tout faux. Ainsi, aucun document en sumérien ne se rattache à un quelconque modèle du mouvement planétaire — on se contentait simplement de dire, par exemple, que « Jupiter était près d’Antarès » ou que « Vénus semblait entourée d’un halo » ; rien de bien scientifique !
L’histoire de cette région s’étend sur plusieurs millénaires, et englobe plusieurs civilisations. Les Sumériens, inventeurs de l’écriture, parlaient une langue dont on ne connaît aujourd’hui aucune langue apparentée. Leur système d’écriture, le cunéiforme, a été repris par les Akkadiens (à ne pas confondre avec les Acadiens !), qui parlaient une langue sémitique (de la même famille que l’arabe ou l’hébreu, par exemple). Graduellement, les Sumériens furent assimilés — apparemment de façon paisible — par cette civilisation, et la langue sumérienne cessa d’être parlée vers 2000–1800 AÈC, bien qu’elle conserva un usage sacré et cérémoniel jusqu’à la fin du premier siècle de l’ère commune. Deux dialectes de l’Akkadien sont l’Assyrien et le Babylonien. Ceux-ci tirent leur nom de deux cités, Aššur et Babylone, qui se partagèrent et s’échangèrent — pas toujours pacifiquement, bien au contraire — le contrôle de la région, avant d’être eux-mêmes supplantés.
Même si l’astronomie fait partie intégrante de la culture de ces peuples, ce n’est qu’à partir du règne de Nabonassar (𒀭𒀝𒉽 dAG-PAB Nabû-nāṣir, r. 747–734 AÈC) que des observations systématiques sont effectuées et — surtout — notées. Ces « journaux astronomiques » et leurs cousins, les « almanachs astronomiques », sont consignés jusqu’au premier siècle de l’ère commune.
Un ensemble d’une trentaine à une quarantaine d’« étoiles normales » (𒀯𒋃𒎌 MUL.ŠID.MEŠ kakkabū minâti, « les étoiles de compte ») est constitué au septième siècle AÈC. Toutes les observations planétaires subséquentes donneront la position de l’astre concerné par rapport à une de ces étoiles. Alexander Jones [2004] propose la liste suivante :
Nom babylonien | Identification moderne | Nom babylonien | Identification moderne | Nom babylonien | Identification moderne | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
DUR SIM-MAḪ | MÚL IGI šá ALLA šá SI | MÚL MURUB₄ 4 šá SAG GÍR-TAB | ||||||
MÚL KUR šá DUR nu-nu | MÚL IGI šá ALLA šá ULÙ | MÚL SIG šá SAG GÍR-TAB | ||||||
MÚL IGI šá SAG ḪUN | zi-im šá ŠA ALLA | MÚL e šá SAG GÍRTAB | ||||||
MÚL ár šá SAG ḪUN | MÚL ár šá ALLA šá SI | SI₄ | ||||||
MÚL-MÚL | MÚL ár šá ALLA šá ULÙ | MÚL KUR šá KIR₄ šil PA | ||||||
MÚL ár šá MÚL-MÚL | SAG A | 4-ÀM IGI šá PA šá ana ZA | ||||||
is le₁₀ | LUGAL | 4-ÀM ár šá PA šá ana ZA | ||||||
ŠUR GIGIR šá SI | MÚL TUR šá 4 KÙŠ ár LUGAL | SI MÁŠ | ||||||
ŠUR GIGIR šá ULÙ | GIŠ.KUN A | MÚL IGI šá SU ḪUR MÁŠ | ||||||
MÚL IGI šá še-pít MÁŠ-MÁŠ | GÌR ár šá A | MÚL ár šá SU ḪUR MÁŠ | ||||||
MÚL ár šá še-pít MÁŠ-MÁŠ | DELE šá IGI ABSIN | MÚL TUR šá 2½ KÙŠ ár MÚL ár šá SUḪUR MÁŠ | ||||||
MÁŠ-MÁŠ šá SIPA | SA₄ šá ABSIN | qup-pu IGI -ú šá GU | ||||||
MÁŠ-MÁŠ IGI | RÍN šá ULU | qup-pu ár-ú šá GU | ||||||
MÁŠ-MÁŠ ár | RÍN šá SI |
Vers la fin du cinquième siècle AÈC, les Babyloniens créent développent le zodiaque uniforme — dès lors, cette bande du ciel dans laquelle les planètes se déplacent n’est plus formée de constellations, mais bien de signes, au nombre de douze, et tous d’égale largeur : 30°. Cela simplifie grandement les calculs qui commencent à être faits. Pour une raison quelconque, la constellation d’Ophiuchus n’est pas convertie en signe, au profit du Scorpion, bien qu’il intersecte une plus petite portion de l’écliptique. Les signes sont les suivants :
Logogramme | Nom babylonien et traduction | Symbole moderne | Nom latin | Nom français | Début | Fin | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Sumérien | Néo-assyrien | Translitération | |||||||
𒇽 | 𒇽 | LU₂ | agru | Journalier | ♈︎ | Aries | Bélier | 0° | 30° |
𒀯 | 𒀯 | MÚL | alû/lê | Taureau du ciel | ♉︎ | Taurus | Taureau | 30° | 60° |
𒈦 | 𒈦 | MAŠ | māšu | Grands jumeaux | ♊︎ | Gemini | Gémeaux | 60° | 90° |
𒆵 | 𒆵 | KUŠÚ | alluttu | Écrevisse | ♋︎ | Cancer | Cancer | 90° | 120° |
𒀀 | 𒀀 | A | urgulû | Lion | ♌︎ | Leo | Lion | 120° | 150° |
𒀳 | 𒀳 | ABSIN | absinnu | Sillon | ♍︎ | Virgo | Vierge | 150° | 180° |
𒂟 | 𒂟 | RÍN | zibānītu | Pinces / Plateaux | ♎︎ | Libra | Balance | 180° | 210° |
𒄈 | 𒄈 | GÍR | zuqaqīpu | Scorpion, couteau | ♏︎ | Scorpius | Scorpion | 210° | 240° |
𒉺 | 𒉺 | PA | pabilsaĝ | (Dieu) Pabilsaĝ, surveillant | ♐︎ | Sagittarius | Sagittaire | 240° | 270° |
𒈧 | 𒈧 | MÁŠ | suḫurmāšu | Poisson-chèvre | ♑︎ | Capricornus | Capricorne | 270° | 300° |
𒄖 | 𒄖 | GU | ṣinundu | Le Grand (dieu) | ♒︎ | Aquarius | Verseau | 300° | 330° |
𒍦 | 𒍦 | ZIB | zibbātu | Hirondelle | ♓︎ | Pisces | Poissons | 330° | 360° |
𒇽 LU₂ devient plus tard 𒇻 ou 𒇻 LU, puisque 𒇽 n’a pas de valeur phonétique en akkadien. Toutefois, plutôt que de signifier « homme » comme LU₂, LU signifie « mouton », et la constellation, qui était jusque-là appelée « le journalier [de ferme] » devient notre Bélier. |
Plusieurs éléments sont hérités des Sumériens, avec peu ou pas de modifications. Par exemple, bien que les mois aient un nom akkadien, on les note habituellement sur les tablettes avec un symbole correspondant à leur nom sumérien (plus spécifiquement, celui de la cité de Nippur) :
# | Nom sumérien | Abréviation | Nom akkadien |
---|---|---|---|
I | bara₂-za₃-gar | 𒁈 bara₂ | Nīsannu |
II | gu₄-si-su | 𒄞 gu₄ | Ayyāru |
III | sig₄-ga | 𒋞 sig₄ | Simānnu |
IV | šu-numun | 𒋗 šu | Duʾūzu |
V | NE-NE-gar | 𒉈 izi * | Ābu |
VI | kin-ᵈinanna | 𒆥 kin | Ulūlū |
VII | du₆-ku₃₃ | 𒇯 du₆ | Tašrītu |
VIII | apin-du₈-a | 𒀳 apin | Araḫsamna |
IX | GAN-GAN-e₃ | 𒃶 gan | Kisilīmu |
X | ab-e₃ | 𒀊 ab | Ṭebētu |
XI | udruduru₅ | 𒍩 zíz † | Šabāṭu |
XII | še-sag₍₁₁₎-ku₅ | 𒊺 še | Addāru |
* Le caractère sumérien 𒉈 (NE) est aussi appelé IZI. † UDRA s’écrit 𒀾𒀀𒀭𒀀, dont le premier caractère 𒀾 est appelé AŠ₂, qui est le même nom que 𒍩, aussi appelé ZIZ₂ (néo-assyrien 𒍩). |
Nous ne couvrirons pas la théorie planétaire babylonienne dans le détail — il existe des livres entiers à ce sujet ; voir la bibliographie au bas de cette page —, mais mentionnons qu’il existait deux principaux systèmes pour calculer les phénomènes planétaires… et plusieurs variantes. Les historiens appellent ceux-ci « Système A » et « Système B », par défaut de savoir quel nom les Babyloniens utilisaient. Dans le Système A, les planètes parcourent leur trajectoire suivant deux paliers de vitesse : par exemple, pour Jupiter, c’était 30° par année lorsqu’elle est située entre Gémeaux 25° et Sagittaire 0°, mais de 36° par année entre Sagittaire 0° et Gémeaux 25° (certaines variantes avaient plus de deux niveaux de vitesse différents). Dans le Système B, la vitesse augmentait graduellement d’un minimum à un maximum, puis diminuait au même rythme qu’elle avait augmenté ; par exemple, pour Jupiter toujours, le minimum était de 28,26°/an et le maximum de 38,03°/an, avec une accélération (positive ou négative, suivant le cas) de 1,8°/an2. Le diagramme ci-dessous représente le fonctionnement du Système B.
La position de la planète n’était pas relevée systématiquement, mais seulement lors de divers phénomènes. Bien qu’ils ne savaient pas que Mercure et Vénus sont plus près du Soleil que la Terre, Mars, Jupiter, et Saturne, ils faisaient tout de même la différence entre ces deux groupes, puisque les deux premières planètes ne s’éloignent jamais beaucoup du Soleil, tandis que les trois autres peuvent se trouver à n’importe quelle distance angulaire de celui-ci.
Les phénomènes d’intérêt aux Babyloniens étaient ceux identifiés dans le tableau ci-dessous (à noter que les symboles ont été attribués par les historiens modernes, et que les abréviations proviennent des descriptions anglaises des phénomènes), et l’animation ci-contre montre les positions héliocentriques associées.
Abréviation | Symbole | Description |
---|---|---|
Planètes intérieures : Mercure et Vénus | ||
EF | Ξ | Première visibilité en soirée (après une conjonction supérieure) |
ES | Ψ | Station en soirée |
LE | Ω | Dernière visibilité en soirée (avant une conjonction inférieure) |
MF | Γ | Première visibilité en matinée |
MS | Φ | Station en matinée |
ML | Σ | Dernière visibilité en matinée (avant une conjonction supérieure) |
Planètes extérieures : Mars, Jupiter, et Saturne | ||
FA | Γ | Première visibilité (juste après la conjonction) |
S1 | Φ | Première station |
AR | Θ | Lever acronique (juste avant l’opposition) |
S2 | Ψ | Deuxième station |
LA | Ω | Dernière visibilité (juste avant la conjonction) |
Utilisons encore une fois le Système B de Jupiter comme exemple, tiré de données extraites de tablettes cunéiformes retrouvées à Babylone et à Uruk. On peut y lire que d’une année à l’autre, la position de Jupiter à l’opposition (trois dernières colonnes) augmente du nombre de degrés de la colonne précédente, tout comme la date augmente de la différence indiquée dans la deuxième colonne (en plus d’une année lunaire, soit 353 à 385 jours).
Année ÈS | Diff. de temps | Date babylonienne | Différence de position | Position | |||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
127 | — | Ābu | izi | V | 27;36 | — | 24;31 | ZIB | ♓︎ |
128 | 47;54 | Tašrītu | du₆ | VII | 15;30 | 35;49 | 30;20 | LU₂ | ♈︎ |
129 | 46;06 | Araḫsamna | apin | VIII | 1;36 | 34;01 | 4;21 | MAŠ | ♊︎ |
130 | 44;18 | Kisilīmu | gan | IX | 15;54 | 32;13 | 6;34 | KUŠÚ | ♋︎ |
131 | 42;30 | Ṭebētu | ab | X | 28;24 | 30;25 | 6;59 | A | ♌︎ |
132 | 40;42 | Šabāṭu | zíz | XI | 9;06 | 28;37 | 5;36 | ABSIN | ♍︎ |
133 | 38;54 | Addāru | še | XII | 18;00 | 29;42 | 5;18 | RÍN | ♎︎ |
134 | 40;42 | Nīsannu | bara₂ | I | 28;42 | 31;30 | 6;48 | GÍR | ♏︎ |
135 | 42;30 | Ayyāru | gu₄ | II | 11;12 | 33;18 | 10;06 | PA | ♐︎ |
136 | 44;18 | Simānnu | sig₄ | III | 25;30 | 35;06 | 15;12 | MÁŠ | ♑︎ |
137 | 46;06 | Ābu | izi | V | 11;36 | 36;54 | 22;06 | GU | ♒︎ |
138 | 47;54 | Ābu | izi | V | 29;30 | 37;22 | 29;28 | ZIB | ♓︎ |
139 | 46;06 | Tašrītu | du₆ | VII | 15;36 | 35;34 | 5;02 | MÚL | ♉︎ |
140 | 44;18 | Tašrītu | du₆ | VII | 29;54 | 33;46 | 8;48 | MAŠ | ♊︎ |
141 | 42;30 | Kisilīmu | gan | IX | 12;24 | 31;58 | 10;46 | KUŠÚ | ♋︎ |
142 | 40;42 | Ṭebētu | ab | X | 23;06 | 30;10 | 10;56 | A | ♌︎ |
143 | 38;54 | Šabāṭu | zíz | XI | 2;00 | 28;22 | 9;18 | ABSIN | ♍︎ |
144 | 37;06 | Addāru | še | XII | 9;06 | 29;57 | 9;15 | RÍN | ♎︎ |
145 | 38;54 | Nīsannu | bara₂ | I | 18;00 | 31;45 | 11;00 | GÍR | ♏︎ |
146 | 40;42 | Nīsannu | bara₂ | I | 28;42 | 33;33 | 14;33 | PA | ♐︎ |
147 | 42;30 | Simānnu | sig₄ | III | 11;12 | 35;21 | 19;54 | MÁŠ | ♑︎ |
La date et la position d’une année correspondent à celles de l’année précédente plus la différence associée. Par exemple, pour l’an 136 SÈ (2,16 = 2 × 60 + 16), on a une différence de temps de 44;18 ; ajoutée à gu₄ 11;12 de l’an 135 SÈ, cela donne 55;30, auquel on enlève 30 jours et on ajoute un mois, ce qui donne sig 25;30. De même, pour la position, on a une différence de 35;06° ; ajoutée à 10;06° de Pabilsaĝ (le Sagittaire), cela donne 45;12° de Pabilsaĝ, auquel on soustrait 30° et on ajoute un signe, ce qui donne 15;12° de Suḫurmášu (le Capricorne). |
Signe | Description |
---|---|
NA1 | Temps écoulé entre le coucher du soleil et le coucher du premier nouveau croissant visible |
ŠÚ | Temps écoulé entre le coucher de la lune et le lever du soleil, mesuré au dernier coucher de lune ayant lieu avant un lever de soleil |
NA | Temps écoulé entre le lever du soleil et le coucher de la lune, mesuré au premier coucher de lune ayant lieu après le lever de soleil |
ME | Temps écoulé entre le lever de la lune et le coucher du soleil, mesuré au dernier coucher de lune ayant lieu avant un coucher de soleil |
GE6 | Temps écoulé entre le coucher du soleil et le lever de la lune, mesuré au premier lever de lune ayant lieu après un coucher de soleil |
KUR | Temps écoulé entre le lever du dernier (dé)croissant de lune visible avant le lever du soleil et celui-ci |
Pour la Lune, on mesurait plutôt des durées, comme indiqué dans le tableau ci-dessus. Ces données servaient au calcul de diverses valeurs, permettant au final de savoir à quel moment précis la Lune allait être pleine ou nouvelle — comme c’est le cas avec la tablette d’argile illustrée au début de cette section. On arrivait même à prédire les éclipses lunaires.
Les premiers textes babyloniens expliquant la procédure à suivre pour calculer la position des planètes datent d’environ 450 AÈC et les derniers, d’environ 50 CE. Il y a donc un bon chevauchement de cette période avec celle de notre prochain point d’intérêt, la Grèce antique. Des échanges ont d’ailleurs eu lieu entre les deux cultures, et certains historiens supposent même que certains personnages historiques « grecs » étaient en fait d’origine babylonienne, auraient séjourné dans l’Empire babylonien, ou auraient été proches de personnes ayant émigré de celui-ci.
Otto Neugebauer est d’avis que « L’Égypte n’a aucune place dans une œuvre sur l’histoire de l’astronomie mathématique. » À peine plus loin, il indique que « L’Égypte nous fournit un exemple exceptionnel d’une civilisation hautement sophistiquée qui a prospéré pendant plusieurs siècles sans apporter une seule contribution au développement des sciences exactes. » Les phrases suivantes confirment que le mot « exceptionnel » est utilisé ici au sens de « grandiose », puisque l’auteur y indique que la seule civilisation antique où la science est apparue est la Mésopotamie — c’est de là qu’elle s’est par la suite diffusée. Plus loin encore : « La contribution la plus importante de l’Égypte à l’astronomie est sans doute “l’année égyptienne” d’une durée fixe de 365 jours. » En effet, elle demeurera en utilisation jusque tard pendant la Renaissance, et ses vertus vantées encore très récemment ; aucun besoin de calculer de mois intercalaire ou de journée bissextile, de phase lunaire, ou d’équinoxe et de solstice : c’est toujours 365 jours.
En fait, l’« astronomie égyptienne » se résume à l’observation de groupes d’étoiles afin de déterminer l’heure de la nuit — une heure dont la durée varie selon les groupes d’étoiles observés. Et cette observation était relativement bâclée, puisqu’elle se faisait par rapport aux parties du corps d’une personne assise devant l’observateur ! Les listes de ces étoiles n’ont pas été préservées au fil des siècles, et on ne peut aujourd’hui que spéculer sur leur identité.
À un certain point, les Égyptiens ont constaté qu’une période de 25 années égyptiennes (9 125 jours) correspondait à 309 mois synodiques — la différence est de mois de 5⁄100e de jour. Cette découverte remonte au quatrième siècle avant l’ère commune au plus tard. Au sixième siècle avant l’ère commune, une correspondance entre les mois civils égyptiens et les mois lunaires babyloniens est établie — mais l’Égypte avait alors déjà été conquise par les Perses…
Je terminerai cette section en citant un paragraphe complet de Neugebauer :
C’est une procédure couramment adoptée que de postuler une connaissance « secrète » lorsque le matériel disponible est trop élémentaire ou trop trivial pour convenir au goût de l’historien moderne. Mais on sait bien comment des « secrets » ont été gardés depuis l’époque des Textes des Pyramides de l’Ancien Empire jusqu’à la Kabbale juive du Haut Moyen Âge : tous ces « secrets » ont été consignés avec avidité et ont survécu à d’innombrables exemplaires et à une énorme variété de formes : les « sortilèges » de la littérature égyptienne à l’usage du Monde Inférieur, les papyrus magiques grecs et les textes gnostiques, les secrets de Nechepso-Petosiris et d’Hermès Trismégiste, les noms « secrets » juifs et chrétiens de Dieu, des saints et des démons dans toutes les langues sémitiques, des amulettes et des malédictions — rien n’est moins secret que la littérature « secrète ». Il serait absurde de penser que le secret n’était efficace que pour les sciences exactes : pas une ligne n’a jamais été consignée à l’écrit et les sources non secrètes ne contiennent jamais un indice qui implique une connaissance secrète sous-jacente. De toute évidence, l’hypothèse d’une connaissance scientifique secrète n’a aucun fondement.
Si les Babyloniens ne concevaient pas de modèle « physique » pour expliquer le mouvement des planètes, il en va autrement des Grecs, chez qui on croyait, depuis qu’Anaximandre en avait lancé l’idée, que les planètes sont installées sur des sphères ou des anneaux ceinturant la Terre. Eudoxe de Cnide, quant à lui, suppose que les planètes sont portées par des sphères cristallines parfaitement transparentes.
Le premier modèle supposait simplement que les planètes se meuvent à vitesse uniforme sur des cercles parfaits centrés sur la Terre. Toutefois, comme l’indique la Figure 2 ci-dessus, les planètes (sauf le Soleil et la Lune) semblent parfois « reculer » sur leur trajectoire (phénomène dit de rétrogradation), ce qui est impossible selon ce modèle. Mais c’était mal juger de l’imagination des Grecs ; un second modèle est bientôt conçu, avec quelques sphères imbriquées les unes dans les autres pour chaque planète, tournant parfois en sens contraire et à angle, ce qui permettait d’expliquer la rétrogradation. C’est d’ailleurs ce modèle que propose Eudoxe, mais malgré ses efforts, il n’arrive pas à quantifier exactement la vitesse ou l’angle des sphères pour Vénus et Mars, et son modèle ne parvient donc pas à reproduire fidèlement le mouvement de ces planètes.
Un autre hic rencontré par le modèle des sphères concentriques est que les planètes sont plus brillantes lorsqu’elles sont dans leur boucle rétrograde, phénomène identifié correctement par les Grecs comme étant dû à un rapprochement de la planète à la Terre. Or, avec les sphères concentriques (et la Terre au centre), la distance à chaque planète demeure fixe. Une façon de s’en sortir fut de postuler l’existence d’une sphère secondaire de dimension réduite, l’épicycle, située en périphérie de la sphère principale (maintenant appelée le déférent), et portant la planète. Un tel système fut proposé par Apolonnios de Perga et permettait d’expliquer la rétrogradation — mais le nouvel ennui était que les boucles rétrogrades ne sont pas toutes égales, ni espacées d’autant, comme l’illustre la Figure 3, et que peu importe quelle combinaison de facteur était essayée, on n’arrivait pas à en trouver une qui explique cela .
Le premier élément de réponse proposé fut de décentrer la Terre, mais encore là, rien n’y faisait : selon les paramètres utilisés, on parvenait à expliquer soit la taille des boucles, soit leur écart angulaire ; jamais les deux en même temps. Dans le Livre 2 (§ 63–64) de son Histoire naturelle, Pline l’Ancien décrit toutefois les planètes selon un modèle compatible avec la deuxième possibilité, soit celle expliquant les écarts angulaires. Les traces historiques sont rares à cette époque, et on ignore qui fut l’auteur de ce modèle spécifique ; il semble toutefois dater à après Hipparque, car celui-ci « n’a rien fait pour commencer la théorie des cinq planètes, et [il] a seulement mis dans un ordre plus commode les observations qui en avaient été faites » .
C’est enfin Ptolémée qui vient à bout du problème , en supposant que la vitesse de la planète est uniforme non pas telle que vue de la Terre ni du centre du déférent, mais d’un troisième point, qu’on appelle aujourd’hui l’équant . La distance entre l’équant et le centre du déférent est égale à celle entre ce dernier et la Terre. En choisissant correctement ses paramètres, Ptolémée parvient à reproduire tant la taille des boucles rétrogrades que l’écart entre elles, comme le montre l’animation ci-contre.
La théorie planétaire de Ptolémée ainsi que ses théories solaire et lunaire sont détaillées dans un monumental ouvrage en treize livres, la « Syntaxe mathématique » , qui devient plus tard le « Grand traité » , puis simplement « Le Grand » ; ce nom sera plus tard « arabisé » en al-majisṭī , qui sera plus tard latinisé et francisé en Almageste. Ce traité fera figure de dogme pendant près de 1 500 ans avant d’être supplanté. Bien que des traductions latines apparaissent vers l’an 1200, ce n’est qu’en 1813 (livres 1–6) et 1816 (livres 7–13) qu’une version française voit le jour, mais elle est bourrée d’erreurs, le traducteur n’étant apparemment familier ni avec la langue grecque, ni avec l’astronomie. En 2022, j’en ai complété une nouvelle traduction, disponible en exclusivité sur EcliptiQc.ca.
Malgré la simplicité apparente de l’animation ci-contre, et malgré les critiques qu’il suscitera des siècles plus tard, le modèle de Ptolémée est somme toute complexe, du moins pour l’époque. Son auteur indique d’ailleurs que d’autres avant lui ont tenté d’expliquer les phénomènes planétaires, mais que la tâche leur a semblé trop complexe pour qu’ils ne poursuivent leurs efforts jusqu’au bout. Selon James Evans [1984], « [c]e qui est peut-être moins clair est que le modèle préserve également les moments auxquels les rétrogradations se produisent. » Otto Neugebauer indique que « ce n’est pas peu dire que Ptolémée ait réussi à développer des modèles fonctionnels pour la latitude géocentrique de toutes les planètes. »
Mais l’Almageste de Ptolémée est plus que l’exposé de son modèle du mouvement du Soleil, de la Lune, et des planètes. En effet, l’ouvrage devient une sorte de gabarit suivant lequel les auteurs subséquents organisent leurs propres écrits. Ptolémée détaille le mouvement des planètes, mais il évite à ses lecteurs la lourde tâche de faire des calculs complexes (pour l’époque, entièrement à la main, bien entendu) en proposant plutôt des tableaux comprenant les quantités déjà multipliées, ou les angles déjà calculés. Par exemple, ses tableaux du mouvement planétaire indiquent par quelle quantité la longitude et l’« anomalie » de chaque planète augmente par tranche de 18 années égyptiennes (de 18 à 810 ans), par année égyptienne (365 jours), par mois égyptien (30 jours), par jour, et même par heure. La tâche de Ptolémée pour ce faire était simple : il n’avait qu’à additionner les quantités de base. Mais ailleurs, après avoir développé sa théorie planétaire, il indique par exemple la quantité à ajouter ou soustraire (appelée « prostaphérèse ») aux valeurs de base indiquées dans les tableaux dont nous venons de parler, pour obtenir la position réelle. Or, ces prostaphérèses sont le résultat de calculs trigonométriques — à une époque où la trigonométrie n’en était encore qu’à ses premiers balbutiements. Par exemple, les fonctions que nous connaissons aujourd’hui comme le sinus, le cosinus, ou la tangente d’un angle n’étaient pas connues. On utilisait alors la corde, qui est la longueur de la droite tendue entre les deux points extrêmes d’un angle sur un cercle (voir le diagramme interactif ci-contre). De plus, Ptolémée (et, présumément, d’autres avant lui, comme Hipparque) multipliait la valeur par 60, donnant la mesure de la corde pour un cercle d’un rayon de 60 unités — la coutume aujourd’hui est d’utiliser un cercle de rayon unitaire.
On dit souvent que le Moyen Âge était une période d’obscurantisme et d’ignorance ; toutefois, ce n’est pas strictement vrai, ni exclusif. En fait, aucune avancée scientifique majeure n’a été réalisée sous l’Empire romain, outre l’œuvre de Ptolémée — son Almageste bien sûr, mais aussi ses Tables faciles, sa Géométrie, et quelques autres ouvrages. (Il était Grec, mais est né et a vraisemblablement passé toute sa vie à Alexandrie et autour, et l’Égypte (de même que la Grèce) était sous domination romaine.) D’ailleurs, le pôle de la « science » était encore l’Égypte et la Mésopotamie.
Quand l’Empire romain d’Occident chute, en 476 de notre ère (l’Empire d’Orient, mieux connu aujourd’hui comme l’Empire byzantin, persiste jusqu’en 1453), il est remplacé par des royaumes des peuples dits « barbares » par les Romains, mais le changement est graduel et ces peuples étaient souvent déjà installés dans les régions et avaient commencé à s’assimiler progressivement à la culture romaine. Ce qui marque un tournant est aussi l’essor du christianisme ; pas tant parce que cette religion prône une « cosmologie » particulière, mais parce qu’elle change les pôles d’intérêts de la population. Dans un univers où tout est supposément régi par Dieu, on cherche moins à comprendre la cause des phénomènes qu’à simplement prédire ceux qu’on peut. Cela inclut la prédiction des dates des fêtes religieuses, surtout celle de Pâques.
Originellement, Pâques est une fête juive (פֶּסַח Pessa’ḥ). Les chrétiens la reprennent comme étant la célébration de la résurrection de Jésus de Nazareth, un prophète qu’ils considèrent comme le fils de Dieu. Cet événement aurait eu lieu trois jours (inclusivement) après la Pessa’ḥ, qui a elle-même lieu le 14e jour du mois de Nisan, le premier mois du printemps de l’hémisphère nord, dont le début est marqué par l’observation du croissant de lune ; le 14 est donc le jour de la nouvelle lune. Le calendrier juif n’étant pas parfaitement synchronisé avec l’année, il peut arriver que le 14 Nisan ait lieu avant l’équinoxe de printemps (le calendrier hébraïque ayant depuis été réformé, cela n’est plus possible aujourd’hui), ce que certains chrétiens considérèrent inacceptable — d’autant plus qu’on dépendait de la communauté juive, ce qui ne faisait pas le bonheur de certains qui auraient voulu s’autogérer. Entretemps, certains chrétiens choisissent de ne célébrer « leur » Pâque que le dimanche. Par conséquent, le premier concile de Nicée (mai–août 325) décrète que la détermination de la date de la Pâque chrétienne se fera sans consultation du clergé juif et que la date observée sera la même pour tous les chrétiens. Au fil des siècles suivants, l’Église chrétienne, de concert avec les astronomes, déterminera que Pâques doit être célébrée :
Mais afin de ne pas avoir à dépendre de l’observation de la Lune, puisque la durée du mois lunaire (synodique) peut varier d’environ 29,27 jours à environ 29,83 jours, on choisit de calculer la date de la pleine lune suivant un cycle régulier.
Le calcul de la date de Pâques (comput) occupe donc les mathématiciens et astronomes chrétiens (de plus en plus nombreux en Europe) pendant plusieurs siècles, et des règles mathématiques toujours plus précises sont déterminées, des tableaux des dates composés, etc.
Certains documents babyloniens peuvent être décrits comme des éphémérides dans un sens large, mais ce n’est que pendant l’ultime période de l’astronomie grecque qu’apparaissent les premières éphémérides au sens moderne — des tableaux indiquant la position du Soleil, de la Lune, et des planètes de jour en jour, ou du moins à intervalles réguliers. Neugebauer indique que le terme lui-même apparaît pour la première fois « en lien avec les observations d’Heliodorus en 509 et 510 [ÈC] de conjonctions rapprochées de Mars et de Vénus avec Jupiter. Aussi Philopon, dans son traité sur l’astrolabe, mention une “éphéméride” pour le Soleil. » Le type de document existe toutefois déjà au deuxième siècle ; à preuve, le papyrus Tebtynis 2 449, qui indique la position de la Lune chaque jour — le peu qu’il en reste suffit à savoir qu’il s’agit de la position vraie et non de la position moyenne.
J’oserais dire que les éphémérides sont presque un style de document appelé à disparaître, puisque les applications informatiques d’aujourd’hui nous permettent de simuler le ciel pour n’importe quelle date, et que la consultation de tels tableaux devient une chose rare. Il existe encore l’Observer’s Handbook de la Société royale d’astronomie du Canada, mais l’Annuaire astronomique n’existe plus depuis longtemps — il était publié par la Société d’astronomie de Montréal, et par les Éditions astronomiques dans ses dernières années. Ailleurs dans le monde, la Marine des États-Unis publie toujours The Astronomical Almanac, en collaboration avec le Bureau de l’Almanac astronomique de Sa Majesté au Royaume-Uni ; celui-ci offre de plus une version en ligne. La seule publication francophone du même style est le Guide du ciel de Guillaume Cannat ; le magazine français Ciel & espace publie aussi un Almanach du ciel comme hors-série annuel, mais celui-ci ne contient que peu ou pas de tableaux.
George Saliba nous indique que les « critiques sérieuses des modèles de Ptolémée ont débuté, pour autant qu’on sache, quelque part au onzième siècle », du moins dans le monde musulman — on peut présumer, à la lecture de ce que j’ai écrit ci-dessus, que l’Europe n’était pas rendue à cette étape.
L’un des premiers ouvrages à critiquer ouvertement Ptolémée est Doutes sur Ptolémée (شكوك على بطليموس) d’Ibn al-Haytham . Le principal point où l’auteur accroche est l’équant, qu’il juge innaturel. Il reproche d’ailleurs à Ptolémée de se contredire lui-même et de ne pas respecter les principes qu’il avait lui-même énoncés. Ainsi, dans l’Almageste, on peut lire, au Livre 9, Chapitre 2 :
Nous nous proposons maintenant de démontrer, comme nous l’avons fait pour le Soleil et la Lune, que toutes les anomalies apparentes des cinq planètes peuvent être représentées par des mouvements circulaires uniformes, puisque ceux-ci sont propres à la nature des êtres divins, étrangers par leur nature au désordre et à l’irrégularité .
Mais plus loin, au Chapitre 5, Ptolémée déclare :
Nous trouvons aussi que les centres des épicycles sont portés sur des excentriques qui, bien qu’égaux en grandeur à l’excentrique qui produit l’anomalie, ne sont pas décrits autour du même centre que celui-ci .
Dans les mots de George Saliba :
Puisque Ptolémée a accepté le principe du mouvement uniforme, et puisqu’il avait démontré dans le cas du Soleil que si un corps se déplace uniformément autour d’un point il doit nécessairement se déplacer non uniformément autour d’un autre point, par conséquent, Ptolémée doit s’être contredit lui-même en affirmant que le centre du mouvement écliptique se meut uniformément autour de l’équant parce qu’alors cela signifie qu’il ne se meut pas uniformément autour du centre de son propre déférent, ce qui est impossible.
Un autre point de contentieux est que Ptolémée parle de lignes et de cercles imaginaires, qui ne peuvent donc pas être en mouvement, selon al-Haytham. Celui-ci indique que la « configuration [des mouvements planétaires] doit être autre que celle établie par Ptolémée. » Il n’offre toutefois pas de configuration alternative, d’autre modèle, laissant présumément la tâche à ceux qui viendraient après lui.
Malheureusement disparu dans les gouffres du temps, un autre ouvrage à critiquer Ptolémée est al-Istidrak ʿala Batlamyus (« Récapitulation sur Ptolémée ») d’un auteur inconnu — mais qui a aussi écrit le Kitab al-Hayʾa, (« Livre d’astronomie »), dans lequel il mentionne le premier document. Saliba mentionne quelques endroits du texte où l’auteur mentionne l’autre ouvrage, qui semble être un projet futur. Pas plus qu’Ibn al-Haytham, l’auteur du Kitab al-Hayʾa ne propose pas d’alternative au modèle de Ptolémée.
Celles-ci commenceront à apparaître au douzième siècle, avec des auteurs comme Jabir ibn Aflah, al-Bitruji, et Averroès. ibn Aflah, par exemple, déclare que Mercure et Vénus devraient être situées au-delà du Soleil, puisque, contrairement à celui-ci, elles n’ont aucune parallaxe (ce qui, à strictement parler, est faux, mais leur parallaxe n’était alors pas détectable), selon les principes énoncés dans l’Almageste lui-même. ibn Aflah indique que Ptolémée le rend « perplexe, parce qu’il semble se contredire sans même le savoir ». al-Bitruji est d’avis que, contrairement au modèle de Ptolémée, l’univers doit avoir un seul centre autour duquel tous les autres points tournent — le centre de la Terre. Mais aucun des trois auteurs susmentionnés ne connaîtra de grand succès pour supplanter Ptolémée.
Ces trois hommes étaient originaires de l’ouest du monde musulman, mais dans l’est de celui-ci (principalement, mais pas que, à Maragha [Iran moderne] au treizième siècle), on s’activait à trouver des théories solaire, lunaire, et planétaire qui allaient pouvoir remplacer efficacement celles de Ptolémée — tout en étant en accord tant avec les principes d’Aristote qu’avec l’observation ! Le premier traité connu à tenter cela est proposé par Abu ʿUbaiyd al-Juzjani, mais son modèle est tellement évident qu’il aurait pu être proposée par Ptolémée, ce qui implique qu’il était moins précis que celui du Grec.
Ptolémée donnait une excentricité mais un diamètre apparent fixe au Soleil (qui impliquait un effet négligeable de l’excentricité, mais surtout, qui rendait impossible l’existence des éclipses annulaires de Soleil pourtant observées). ibn al-Shāṭir prédisait le contraire dans son modèle, exposé dans Nihayat al-Sul (« La quête ultime »). L’analyse de ses observations se trouvait toutefois dans Taʿliq al-Arsad (« Discours sur les observations »), aujourd’hui perdu.
Rayons depuis O | Angles égaux depuis O |
Rayons depuis C | Angles égaux depuis C |
Rayons depuis T | Angles égaux depuis T |
ibn al-Shāṭir, un muwaqqit à la mosquée des Omeyyades à Damas (Syrie moderne), est un de ces auteurs . Dans son modèle, le déférent (en rouge, de 437⁄60 unités de diamètre) tourne à vitesse uniforme sur le parécliptique (doré, de centre O, où se trouve l’œil, et de 60 unités de diamètre). Le directeur (en bleu, de 21⁄2 unités de diamètre) tourne à son tour sur le déférent à vitesse uniforme, dans le sens contraire, de sorte que la droite entre le centre du déférent et le centre du directeur est toujours parallèle à OT — cela fait en sorte que le centre du directeur semble se déplacer sur un cercle centré sur T, l’équivalent de l’excentrique de Ptolémée. La vitesse de ce cercle directeur est double de celle de l’épicycle et du déférent ; ainsi, une vitesse angulaire uniforme est observée depuis le point C, correspondant à l’équant de Ptolémée.
Les points imaginés par l’auteur grec sont donc en quelque sorte préservés, tout en maintenant des mouvements circulaires uniformes, en pure conformité avec les principes d’Aristote. De plus, cela permet une variation du diamètre solaire apparent, par un facteur d’environ 1,27, très près de la valeur observée, contrairement au modèle de Ptolémée. L’auteur indique aussi que, dans son modèle, tous les angles du mouvement moyen sont mesurés par rapport à O, évitant d’avoir recours à des calculs (alors) complexes pour trouver la position de la planète.
Pour son modèle du mouvement planétaire, al-Shāṭir utilise un système à trois épicycles (bien qu’il appelle le premier « déférent »). Une première sphère cristalline (non représentée) porte le système lentement vers l’est, représentant l’avancée de la ligne des nœuds. Une seconde sphère (rose), inclinée de 2° 30′, permet en même temps d’expliquer les dérives en latitude de la planète ; elle aussi tourne vers l’est. L’écart entre son centre et la Terre (point bleu central) correspond à l’excentrique de Ptolémée. Le déférent (cyan) tourne autour du centre de la seconde sphère vers l’ouest, conservant le « premier » épicycle (bleu) dans la même direction (ici vers le haut, mais tournant lentement avec la première sphère, non représentée). Le résultat est que ce premier épicycle semble se déplacer à vitesse uniforme autour du point gris près du centre de l’animation, qui correspond à l’équant du modèle grec. Ce premier épicycle en porte un second (rouge, qui correspond à peu près à l’épicycle du modèle de Ptolémée), qui porte enfin la planète ; ces deux épicycles tournent vers l’est, le premier à deux fois la vitesse de la sphère rose, l’autre environ 14 fois plus vite que le premier.
Bien que ce modèle soit très complexe, il explique remarquablement bien les phénomènes observés — longitude, latitude, taille et position des boucles rétrogrades, distance relative —, tout en demeurant fidèle aux principes d’Aristote : chaque sphère tourne à vitesse uniforme relativement à son propre centre. En cela, le modèle d’al-Shāṭir donne essentiellement les mêmes résultats que celui de Ptolémée, bien que le centre du cercle rouge ne se trouve pas exactement au même endroit que dans le modèle grec, mais la différence est insensible — selon Swerdlow, l’écart maximum (pour Mars) est de 5⁄1 000e d’unité où le grand cercle (rose) mesure 60 unités.
En fait, le modèle d’al-Shāṭir est tellement efficace que Copernic, près de deux-cents ans plus tard, le reprend presque tel quel, ne faisant que transférer le point d’origine de la Terre au Soleil.
al-Shāṭir écrit notamment, dans son Kitāb nihāya al-sūl fī taṣḥīḥ al-ʾuṣūl :
Ni Ptolémée ni Hipparque, ni aucun autre […] n’a pu […] donner à l’astronomie des fondements simples et vrais qui suffisent à la fois pour les mouvements en longitude et pour les mouvements en latitude. Ptolémée n’a pas pu imaginer de fondements suffisants pour les mouvements en latitude ; que l’on ait, ou non, de l’indulgence pour la théorie classique des mouvements en longitude, on ne peut avoir aucune indulgence pour les mouvements en latitude.
Aussi d’origine syrienne, Muʾayyad al-Din al-ʿUrdi est une des figures majeures de l’astronomie islamique du treizième siècle, ayant notamment participé à la construction du réputé observatoire de Marāgha (مراغه) en Azerbaïdjān oriental (province de l’Iran moderne), à l’invitation d’al-Tūsī (dont nous reparlerons) et sous la gouverne d’Hülegü Khan.
Vers 1250, il décrit son modèle du mouvement lunaire (ci-contre) dans son Kitāb al-Hayʾa (كتاب الهيئة ; « livre d’astronomie »). Dans celui-ci, la sphère inclinée de Ptolémée (en bleu ; dénotée par le rayon OB, contre le rayon OA pour le modèle de Ptolémée) tourne maintenant vers l’est plutôt que vers l’ouest, trois fois plus rapidement que dans le modèle grec. À l’intérieur de cette sphère, on trouve le déférent (en noir), qui tourne maintenant contre l’ordre des signes (vers l’ouest ; rayon PI), deux fois plus rapidement que chez Ptolémée. Celui-ci porte enfin l’épicycle (non illustré), dont le centre est en I dans le modèle d’al-ʿUrdi et en C dans celui de Ptolémée.
Ptolémée introduisait un point imaginaire, la prosneuse (πρόσνευσις ; K dans notre animation) à partir duquel les angles étaient mesurés. Ce point était entièrement imaginaire dans sa théorie, mais dans celle d’al-ʿUrdi, il se trouve le long du rayon PI ou dans son prolongement. On constate aussi que le rayon PI est toujours parallèle au rayon OC. Dans le modèle grec, l’angle AOS est toujours égal mais opposé à l’angle AOC ; le modèle arabe voit l’angle SOB égal au triple de l’angle AOS, aussi en sens opposé. L’angle BPI, quant à lui, est égal au double de l’angle AOS, aussi en sens opposé. Enfin, tout cela tourne lentement dans le sens antihoraire, puisque le point S représente la direction du Soleil moyen.
L’apogée moyen devient donc un point fixe tangent tant à l’épicycle qu’au déférent. al-ʿUrdi conclut que son modèle explique les phénomènes adéquatement, avec une erreur d’environ deux minutes d’arc au maximum, ce qui est mieux que le modèle de Ptolémée.
Pour son modèle planétaire, al-ʿUrdi utilise un épicycle secondaire, ce qui lui permet de diviser l’excentricité de Ptolémée en deux : une partie dans le déférent, l’autre dans cet épicycle secondaire. Le principe sera copié par Copernic plus de trois-cents ans plus tard.
Anecdotes :
1. George Saliba a établi que cette théorie lunaire a été décrite par al-ʿUrdi, après avoir d’abord pensé — et publié — que son auteur était Quṭb al-Dīn al-Shīrāzī.
2. En 1279, le fils d’al-ʿUrdi construit un globe céleste, qui est acheté en 1562 par Auguste Ier de Saxe et est aujourd’hui conservé au Mathematisch-Physikalischer Salon de Dresde, en Allemagne.
S’il y a un nom incontournable dans l’histoire de l’astronomie arabo-musulmane, c’est bien celui de Nasir al-Din al-Tūsī Polymathe, architecte, médecin, philosophe, mathématicien, astronome, et théologien, il convainc Hülegü Khan de construire un observatoire, où il fait venir les meilleurs astronomes de l’époque, et où lui et son équipe en forment d’autres tout aussi brillants. Il était aussi quelque peu visionnaire, puisqu’il écrit notamment :
La Voie lactée, c’est-à-dire la galaxie, est faite d’un très grand nombre de petites étoiles très tassées, qui, à cause de leur concentration et de leur petitesse, semblent être des taches nébuleuses. [Ragep 1993, p. 129]
Il faudra attendre près de 400 ans avant que Galileo Galilei ne confirme cela en pointant sa lunette d’approche vers les portions les plus brillantes de la Voie lactée.
Dans Tahrir al-Majisti (« Une révision de l’Almageste »), al-Tūsī décrit son modèle pour le mouvement de la Lune. Son principal problème avec celui de Ptolémée est qu’il contient un « mécanisme » complexe pour faire diminuer la distance de notre satellite aux quartiers et la faire augmenter à la pleine et à la nouvelle lune. al-Tūsī arrive à faire cela avec une simple paire de cercles — appelé depuis « couple d’al-Tūsī » ou simplement « couple de Tūsī » (animation de gauche). On peut résumer son principe ainsi : avec deux cercles, dont un est tangent à l’intérieur de l’autre, si le cercle intérieur (en bleu dans l’animation), d’un diamètre égal à la moitié de celui du plus grand, tourne sur lui-même en sens inverse de sa révolution autour du centre et à une distance égale à celle de son rayon (représentée par le cercle vert), alors un point de la circonférence du petit cercle (le point de tangence, en rouge) oscillera entre les deux extrémités du diamètre du grand cercle (en vert).
Non seulement al-Tūsī parvient à expliquer ainsi le mouvement de la Lune, mais il généralise même son utilisation à toutes les planètes (en faisant varier le diamètre des cercles appropriés). L’animation de droite illustre son modèle du mouvement lunaire.
Un point essentiel de la prière musulmane est qu’elle doit être faite en se tournant vers La Mecque (plus exactement vers la Kaʿba [الكَعْبة], un édifice situé dans la cour de la grande mosquée al-Ḥarâm). S’il est facile pour le Mecquois de connaître sa direction, il en va autrement pour qui habite les régions éloignées comme le Khwarezm (Turkménistan moderne) ou l’Andalousie (Espagne moderne). On cherche donc un moyen de connaître sa direction, et la trigonométrie sphérique, dérivée de l’astronomie, joue un grand rôle dans cela — problème qui ne se poserait pas si la Terre était plate. Des procédures mathématiques (algorithmes ; mot dérivé du nom de Muḥammad ibn Mūsā al-Khwārizmī , lui-même dérivé du nom de la région susmentionnée) sont établies, sur une base géographique d’abord, puis sur une base astronomique en transférant à la sphère céleste la position de La Mecque et celle du lieu d’où la prière est récitée. Le diagramme ci-contre illustre le modèle. L’entreprise revient à résoudre la formule moderne :
cot 𝑞 = | sin 𝜑 cos 𝛥𝜆 − cos 𝜑 tan 𝜑𝑀 |
sin 𝛥𝜆 |
où 𝑞 est l’azimut (direction est–ouest) de la qibla, 𝜑 est la latitude du lieu considéré et 𝜑𝑀 celle de La Mecque, et 𝛥𝜆 la différence en longitude entre les deux lieux. Certains auteurs ont utilisé une approche géométrique, tandis que d’autres ont tiré avantage de la trigonométrie, une science qui se développait alors dans le monde arabo-musulman et en Inde (le sinus et le cosinus étaient originellement les jyā et koṭi-jyā des mathématiques indiennes [Sūrya Siddhānta, 4e–5e siècle] ; les autres fonctions ont été découvertes par des mathématiciens arabo-musulmans). Un des pionniers de la trigonométrie sphérique est justement al-Khwārizmī que nous venons de nommer.
Les musulmans doivent prier cinq fois par jour, et la période où chaque prière doit être offerte est bien définie : fajr entre l’aube et le lever du soleil ; zuhr entre le passage du soleil au méridien et le début de la période de l’asr ; asr à partir du moment où l’ombre d’un objet est deux fois plus longue qu’il est haut, et jusqu’au coucher du soleil ; maghrib entre le coucher du soleil et la fin du crépuscule ; et isha après la fin du crépuscule, et jusqu’au début de l’aurore, mais le plus tôt possible.
Connaître à l’avance le moment du début et de la fin de chaque période permet d’organiser son horaire en conséquence. Les mathématiciens arabo-musulmans se sont donc attelé à la tâche de leur calcul assez tôt. C’est al-Khwārizmī qui dresse le premier tableau de leur calcul, au début du neuvième siècle. La formule qu’il utilise est très approximative, mais une plus précise est utilisée dès le neuvième siècle, adaptée de sources indiennes :
versin t = versin D − | sin h versin D |
sin H |
où t est l’angle horaire du soleil (l’angle entre le soleil et le méridien), versin x = 1 − cos x est le sinus verse de l’angle, H est la hauteur du soleil au méridien, h est la hauteur du soleil observée, et D est le demi-arc diurne, l’arc diurne étant défini comme celui parcouru par le soleil entre son lever et son coucher.
Plus tard, une autre formule est dérivée, soit en termes modernes :
cos t = | sin h − sin δ sin φ |
cos δ cos φ |
où δ est la déclinaison du Soleil et φ la latitude du lieu.
Un des instruments construits par les astronomes arabo-musulmans est un quadrant mural, érigé en 994 à Ray (près de Téhéran en Iran moderne) par al-Khujandi. Dans un bâtiment d’environ 20 m de long par 10 m de haut, avec deux murs espacés de 3,5 m, une petite ouverture était pratiquée dans le coin supérieur sud d’un mur, permettant à la lumière du soleil de pénétrer les lieux et d’atteindre un arc de 20 m de rayon partiellement creusé dans le sol. L’image du soleil était un cercle d’environ 18 cm de diamètre ; en mesurant où son centre tombait sur l’arc, on pouvait lire sur celui-ci les graduations — chaque degré, d’environ 34,9 cm, était divisé en 360 portions de 10″ chacune (environ 0,97 mm). Grâce à cet instrument, al-Khujandi a pu mesurer notamment l’obliquité de l’écliptique (ε = 23° 32′ 19″ selon sa mesure, une erreur d’environ 2′ peut-être due à une déformation ou un déplacement de son instrument sous son propre poids) ainsi que la latitude de Rey (35° 34′ 39″).
Le diagramme ci-dessous montre les graduations du quadrant mural d’al-Khujandi, en taille réelle — le schéma ne représente pas nécessairement la réalité : il est à titre indicatif seulement, pour la taille des graduations.
On ne peut pas parler d’astronomie médiévale ou d’astronomie arabo-musulmane sans parler de l’astrolabe, cet instrument qui est en même temps une véritable œuvre d’art. La légende raconte qu’il aurait été inventé par Ptolémée (d’autres disent Hipparque, voire Apollonius de Perga) après avoir échappé une sphère armillaire et que son cheval (ou son chameau) ait pilé dessus, l’écrasant ; après un désarroi initial, l’astronome a remarqué que l’instrument était encore utilisable, mais sous une autre forme. Cette histoire est peu vraisemblable, mais l’origine exacte de l’instrument est inconnue. On sait que la projection stéréographique au cœur de l’appareil était connue des anciens Grecs, mais quand Ptolémée parle d’« astrolabe » dans son Almageste, il fait référence à un instrument très différent, s’apparentant plutôt à une sphère armillaire.
Le premier traité connu sur la fabrication et l’utilisation d’un astrolabe remonte à Jean Philopon [Alexandrie, v. 490–v. 570] ; une génération plus tard, on trouve un autre traité sur l’astrolabe écrit par Sévère Sebokht [Nusaybin, Turquie moderne, 575–667]. Bien que ressemblant déjà à l’instrument que l’on connaît aujourd’hui, l’astrolabe de Philopon et de Sebokht manque encore de quelques raffinements, qui lui ont été apportés par les astronomes arabo-musulmans des siècles suivants ; par exemple, l’ajout de cercles indiquant l’azimut sur l’horizon (direction est–ouest).
Philopon a notamment écrit que si on laisse tomber deux corps de masse différente de la même hauteur, ils arriveront au sol en même temps — ceci était contraire à l’enseignement d’Aristote, mais prévisage Galilée par plus de 1 000 ans ; le fait a aussi été démontré par David Scott depuis la surface de la Lune, lors de la mission Apollo 15.
L’instrument se compose principalement de deux pièces, l’une gravée de courbes représentant la hauteur dans le ciel ou l’azimut à l’horizon, et l’autre étant évidée et garnie de pointes représentant chacune une étoile. On peut se servir d’un astrolabe tant pour connaître la date et l’heure en fonction du ciel observé que pour connaître la position des étoiles et du Soleil en fonction de la date et de l’heure — c’est donc un peu un ancêtre du cherche-étoiles cher aux astronomes amateurs. Au verso de l’instrument, on trouve d’autres courbes et droites gravées, comme un calendrier ou un carré d’ombres, permettant d’utiliser l’astrolabe comme instrument d’arpentage.
Le principe d’utilisation de l’astrolabe est simple, bien qu’il comporte plusieurs étapes (voir illustration ci-dessus). La première consiste à déterminer la longitude écliptique du Soleil ; pour ce faire, on aligne la règle du dos avec la date au calendrier, et on lit la valeur sur l’échelle en bordure : par exemple, pour aujourd’hui, 19 avril, on peut lire Taureau 0° dans le diagramme de gauche, vis-à-vis le bout de la règle marqué « Date ». La seconde étape est de mesurer la hauteur du Soleil, en laissant pendre l’appareil et en pointant la règle vers l’astre du jour — on ne regarde pas directement avec les yeux, bien sûr ; on peut utiliser les ombres. La mesure est indiquée du côté de la règle faisant face au Soleil : par exemple, dans l’illustration du centre, on peut lire 46°. (Les deux premières étapes peuvent être réalisées dans l’ordre inverse.) L’étape suivante consiste à placer, sur le devant de l’astrolabe, la marque de la longitude écliptique du Soleil de la partie mobile (en jaune ; appelée rete) vis-à-vis la mesure de hauteur enregistrée. Si on est le matin, c’est du côté gauche de l’appareil ; en après-midi, du côté droit. On aligne ensuite la règle avec cette marque, et on peut enfin lire l’heure en bordure de l’instrument, du même côté de la règle que celui où ses trouve la marque : par exemple, on a ici 14 h. (Afin de convertir à l’heure des montres, on doit tenir compte de l’équation du temps ainsi que de la différence de longitude depuis la longitude de référence du fuseau horaire.)
Les astrolabes que l’on trouve aujourd’hui dans les musées sont généralement faits de laiton, un matériau durable bien qu’il se corrode relativement rapidement, mais en surface seulement. Il y avait certainement des astrolabes produits dans d’autres matériaux, mais qui n’ont pas résisté à l’usure du temps. Le plus ancien astrolabe connu a été fabriqué à la fin du huitième siècle ou au début du neuvième ; jusqu’en 2003, il se trouvait au musée de Bagdad (Irak), mais il en est disparu suite à l’invasion étatsunienne de cette année-là. Les astrolabes anciens sont des pièces rares, valant leur pesant d’or, et les musées qui en possèdent sont peu nombreux ; au Canada, à ma connaissance, seul le musée Aga Khan (à Toronto) en possède et en expose — j’y ai d’ailleurs donné un atelier sur la fabrication et l’utilisation de l’astrolabe en juin 2019.
On ne doit pas confondre l’astrolabe astronomique (aussi dit « planisphérique ») avec l’astrolabe marin, un instrument beaucoup plus simple de conception et bien moins polyvalent en termes d’utilité (diagramme de droite) ; le célèbre « astrolabe de [Samuel de] Champlain » est un astrolabe marin — d’ailleurs, pour la petite histoire, la statue représentant Champlain tenant son astrolabe montre celui-ci montant au-dessus de la main du navigateur, tandis qu’on utilise normalement un astrolabe (tant marin que planisphérique) en le laissant pendre… L’astrolabe marin consiste seulement en un contour gradué et une règle de visée et ne sert qu’à mesurer la hauteur d’un objet au-dessus de l’horizon — où à mesurer l’angle entre deux objets si on le tient de travers.
Parmi les autres astronomes à apporter une contribution notable à l’avancement notre connaissance et de notre compréhension du système planétaire, mentionnons :
Il convient aussi de mentionner les Tables alphonsines, compilées vers la fin du 13e siècle à la demande du roi Alphonse X de Castille (Espagne moderne) [1221–1284], qui se voulaient une mise à jour des Tables tolédanes, compilées vers 1080 par un groupe d’astronomes arabes (la région étant alors sous contrôle musulman). Les deux furent pendant un temps les tables les plus précises publiées à leur époque, bien que ces dernières, selon Toomer, étaient « pour la plupart directement copies [d’œuvres] d’al-Battānī ou d’al-Khwārizmī », sans nouvelle contribution, outre les valeurs du mouvement moyen des astres et leur position à la date d’origine.
Je n’aime pas le terme « Renaissance » pour cette période ; cela sous-entend qu’il s’agirait de la seule renaissance, mais il y en a eu d’autres avant — la renaissance carolingienne (8e–9e siècles), la renaissance ottonienne (début du 10e siècle à v. 1030), et la renaissance du 12e siècle. Si les historiens français (et, par extension, les historiens québécois) placent le début de la Renaissance à 1492 avec l’arrivée en Amérique de Cristoforo Colombo, d’autres optent pour la chute de Constantinople (1453) comme point de départ, et certains vont même jusqu’à la faire commencer au 14e siècle. L’Europe connaît alors un essor artistique, architectural, littéraire, musical, philosophique, politique, religieux, scientifique, et technologique — suivant une période appelée « crise de la fin du Moyen Âge », marquée par des mauvaises récoltes, la maladie, la guerre, et l’épuisement du système féodal.
En astronomie, la période est surtout marquée par l’invention d’instruments plus précis par Tycho Brahe, le système héliostatique de Nicolas Copernic, la découverte de l’ellipticité des orbites par Johannes Kepler, l’application de la lunette d’approche à l’astronomie par Thomas Harriot et Galileo Galilei, et l’invention du télescope à miroir ainsi que la découverte de la loi de la gravitation universelle par Isaac Newton.
Né Tyge Ottesen Brahe , il est probablement le plus important contributeur à l’avancement de l’astronomie de son époque, pas tellement en termes de théorie, mais plutôt en termes instrumentaux. En effet, il semble être le premier à réaliser que chaque observation est entachée d’erreur, qu’il divise en deux catégories encore reconnues aujourd’hui :
Le roi Frédéric II de Danemark lui offre l’île de Hven (auj. Ven, Suède, dans l’Øresund entre la Suède et le Danemark), où il bâtit un observatoire des plus avancés pour son époque, Uraniborg, puis un second quelques années plus tard, Stjerneborg, puisque les instruments d’Uraniborg n’étaient pas assez précis. Il est assisté de nombreux étudiants et collaborateurs, dont il repertorie minutieusement les erreurs personnes afin de corriger leurs mesures.
En 1573, Tycho démontra, dans De nova et nvllivs ævi memoria privs visa Stella (« De l’étoile nouvelle et d’aucune mémoire [de personne] »), que les cieux sont changeants, contredisant du fait Aristote qui affirmait que rien là-haut ne varie (outre la position des planètes). Il avait observé, l’année précédente, ce qu’on appelle aujourd’hui une « nouvelle étoile » (qu’on appelle aujourd’hui supernova). De plus, l’objet n’affichait aucune parallaxe, contrairement aux comètes, ce qui signifiait qu’il devait se trouver au-delà de la Lune et même être sur la sphère des étoiles. Quelques années plus tard, en 1577, il observe une comète qu’il étudie minutieusement ; son compte-rendu de ces observations apparaît dans De mundi ætherei recentioribus phænomenis liber secundus (« Deuxième livre sur les phénomènes récents du monde céleste », après Astronomiæ instauratæ progymnasnata [« Introduction à la nouvelle astronomie »] qui constituait le premier livre), publié en 1588, où il démontre cette fois que les comètes aussi se trouvent au-delà la sphère lunaire, voire sur la « sphère éthérée » (des étoiles) — ce qui causa bien des remous dans la communauté astronomique, notamment avec John Craig et Nicolaus Reimers Baer dit Ursus ; il s’embrouilla aussi avec Paul Wittich et Christoph Rothman qui avaient plagié ses instruments suite à une visite du premier à Hven.
Tycho conçoit un modèle du système solaire dans lequel les planètes tournent autour du Soleil, qui orbite autour de la Terre, tout comme la Lune. Ce modèle ne connaîtra pas beaucoup de succès, mais ouvre la voie à une conception différente de l’Univers que celle tenue jusque-là par la plupart des astronomes européens. Le mouvement de Mars demeure difficile à rendre compte, et Tycho confie la tâche à un mathématicien très réputé, Johannes Kepler, d’en déterminer les paramètres exacts : nous verrons plus loin le résultat de ce travail.
Après la mort de Frédéric II, l’intendant du royaume Christoffer Valkendorff puis bientôt le nouveau roi Christian IV et son médecin Peter Severinus s’embrouillent avec Tycho, et l’astronome quitte le pays, d’abord pour Copenhague puis pour Prague (où Kepler est venu le rejoindre). Il obtient là les faveurs de l’empereur Rodolphe II (Saint-Empire romain germanique), qui fait de lui Astronome de la Cour impériale et finance la construction par Tycho d’un nouvel observatoire à Benátky nad Jizerou, à environ 40 km de Prague. Cet observatoire n’est toutefois utilisé que pendant environ un an avant le retour à Prague de Tycho, où il meurt fin 1601, des suites de ce que j’appelle une « maladie accidentelle » : au cours d’un banquet bien arrosé chez un baron voisin, Tycho s’est retenu trop longtemps d’aller aux toilettes, et à son retour à la maison, il se trouva incapable d’uriner, tout comme les cinq jours suivants — et il ne put produire que quelques gouttes, accompagnées d’intenses douleurs, par après. Il décéda onze jours après le banquet.
Bien que l’hypothèse du meurtre ait été invalidée suite à une autopsie pratiquée en 2010 — plus de quatre-cents ans après sa mort —, la cause exacte de son décès demeure nébuleuse. Dans un article publié en 2016, l’urologue Lawrence Wyner mentionne une communication privée de Jens Vellev, directeur de projet (de l’autopsie), indiquant qu’« il n’y avait aucune trace de calcul vésical, et une tomographie par ordinateur des restes de son squelette n’a montré aucune trace de lésions blastiques qui pourraient représenter des métastases d’un cancer de la prostate ».
Les paramètres exacts du modèle sont inconnus, Tycho étant décédé avant de les publier, et rien n’a été retrouvé à ce sujet dans ses notes manuscrites.
C’était un peu de tricher que de mentionner Tycho Brahe avant Copernic, puisque ce dernier est décédé en 1543, avant même la naissance de Tycho. En fait, c’est par critique du système copernicien que Tycho a conçu son modèle du système planétaire, puisqu’il considérait « absurde » que la Terre puisse bouger. Nicolas Copernic , comme plusieurs autres avant et après lui, est un polymathe : médecin, gouverneur, diplomate, économiste, traducteur, mathématicien, astronome, et chanoine. Il lit l’Épitome de l’Almageste de Ptolémée de von Peuerbach et Regiomontanus et cherche à en confirmer les prédictions ; à cet effet, il réalise plusieurs observations astronomiques. Il écrit notamment quelques ouvrages sur l’économie, l’immobilier, la monnaie (Monetae cudendae ratio, « Traité de la monnaie »), les affaires de la principauté épiscopale de Warmie (dont son oncle, Lucas Watzenrode Jr, est prince-évêque), et la religion.
Entre 1510 et 1514, il conçoit un modèle dans lequel la Terre est une planète comme les autres, tournant autour du Soleil — en fait, celui-ci n’est pas exactement au centre du système, mais très proche ; on doit donc décrire le système de Copernic comme étant héliostatique plutôque qu’héliocentrique : le Soleil est fixe, mais pas au centre. La source de son inspiration n’est pas claire, mais il pourrait avoir lu que certains Grecs et certains arabo-musulmans ont discuté de l’idée sans la développer. Idem pour certains paramètres et principes de son système, notamment l’usage de deux épicycles comme l’avait fait Ibn al-Shāṭir, ou encore le couple d’al-Tūsī. Pour Swerdlow et Neugebauer [1984], « la question est donc non pas si, mais quand, où, et sous quelle forme [Copernic] a appris la théorie [des astronomes de l’observatoire] de Marāgha ». Rosińska [1974] mentionne que Nicolas Oresme aurait (mal) décrit le couple de Tūsī dans ses Questiones de spera, hypothèse aussi explorée par Kren [1971]. Cependant, Velikovsky et Huff, notamment, indiquent que cela semble peu probable, et que Copernic aurait plutôt puisé son idée dans le Commentaire sur le Premier livre d’Euclide de Proclus. Huff [2010, p. 263] indique que « dans les quatre décennies et plus depuis que des similarités entre les modèles d’Ibn al-Shatir et ceux de Copernic sont connues, aucune preuve documentaire d’emprunt n’a été trouvée ».
L’ébauche de ce système héliostatique est discutée en 1514 dans un petit feuillet qu’il distribue à quelques rares mathématiciens et astronomes. Certains de ceux-ci en feront des copies qu’ils distribueront à leur tour, et ces copies furent elles-mêmes copiées, de sorte que l’ouvrage eut une bonne audience et qu’on en trouve encore des copies ; on l’appelle aujourd’hui le Commentariolus (« Petit commentaire »), bien que Copernic ne lui ait pas donné de titre à proprement parler. Dans celui-ci, Copernic propose sept postulats :
Si le Commentariolus n’est qu’une ébauche, composé alors qu’il n’a pas encore 40 ans, Copernic travaille pendant tout le reste de sa vie à peaufiner son modèle, qu’il ne considère jamais assez exact pour le publier ; il a aussi peur que les gens le considèrent comme absurde. Après avoir été incité à publier par d’autres personnes, c’est finalement Georg Joachim Rheticus , son seul élève, qui l’en convainc. Celui-ci se rend à Nuremberg en 1542 avec un manuscrit qu’il fait imprimer par Johannes Petreius, mais il doit se rendre à Leipzig et c’est donc Andreas Osiander qui supervise l’impression de cette œuvre majeure, De revolutionibus orbium cœlestium (« Des révolutions des orbes célestes » ; Copernic considère encore que les planètes sont portées par des sphères [« orbes »] cristallines…). Osiander est un théologien et il craint que l’ouvrage ne soit censuré ; il rédige donc une préface anonyme (c’est son style qui le trahira, bien des années plus tard, quand les historiens l’analyseront) dans laquelle il indique que le modèle de Copernic est « seulement une hypothèse » pour faciliter les calculs. (Cela rend supposément Osiander furieux au point qu’il déchire cette préface de chaque copie qu’il trouve.) La légende veut que Copernic n’ait vu qu’une seule copie de son livre imprimé, juste avant de mourir.
De revolutionibus se compose de six « livres » (on dirait aujourd’hui « parties »), suivant essentiellement la structure de l’Almageste de Ptolémée (mais en regroupant quelques livres) :
Outre l’édition originale, publiée en 1543 à Nuremberg (Allemagne) par Johannes Petreius, et dont il reste 276 copies , l’ouvrage est réédité en 1566 à Bâle (Suisse) par Henricus Petrus (il en reste 325 copies), en 1617 à Amsterdam (Pays-Bas) par Nicolaus Mulerius, en 1854 à Varsovie (Pologne) avec une traduction en polonais et la préface originale de Copernic, et en 1873 à Toruń (Pologne) avec une traduction en allemand et toutes les corrections et notes du manuscrit original de Copernic. De revolutionibus se distingue aussi comme étant l’un des livres les plus dispendieux du monde : sa première édition peut dépasser les 2 millions \$US, et même la seconde édition (dont une copie a été volée le 29 janvier 2017 !) peut dépasser les 250 000 \$US. Il s’agit aussi du livre historique le plus étudié et le plus recensé à part la Bible de Gutenberg. Il n’en existe qu’une seule édition critique en français, publiée par Michel-Pierre Lerner, Alain-Philippe Segonds, et Jean-Pierre Verdet aux éditions Belles Lettres en 2016, en trois volumes totalisant 2700 pages ; elle se détaille 220 € sur le site de l’éditeur, et aux alentours de 370–400 $CAN sur Amazon !
Y a-t-il eu une « révolution copernicienne » ? Oui et non. L’idée elle-même peut sembler révolutionnaire, mais des Grecs (notamment Philolaos de Crotone , Hicetas , Aristarque de Samos , ou Séleucos de Séleucie ) et des arabo-musulmans (comme al-Sijzi ou al-Biruni , bien que ce dernier ait par la suite changé d’idée) l’ont eue avant Copernic — il est possible qu’il ait lu sur le sujet pendant ses études à l’Université de Barcelone. Le modèle n’est pas très différent de celui de Ptolémée, en fait ; comme l’animation ci-contre le présente, c’est simplement un changement de référentiel. Les observations ne sont pas encore suffisamment précises pour faire la différence entre les deux modèles — il faudra attendre Tycho Brahe avant d’atteindre ce niveau —, et de toute façon, le modèle de Copernic est moins précis que celui de Ptolémée sur certains points, bien qu’il en reprenne presque exactement les mêmes paramètres en ce qui a trait à l’excentricité ou à la taille de l’épicycle de chaque planète. Parce que, plutôt que de se débarrasser des épicycles, Copernic en rajoute ! Selon Arthur Koestler, si le modèle de Ptolémée avait 34 épicycles accomplissant diverses fonctions, celui de Copernic n’en comprenait pas moins de 48.
De revolutionibus n’est pas non plus un « scoop », puisque Rheticus publie en 1540 De libris revolutionum Copernici narratio prima (« Premier rapport sur les livres des révolutions de Copernic »), sans compter le Commentariolus dont on a déjà parlé. De plus, Johann Albrecht Widmannstetter [1506–1557], alors secrétaire du pape Clément VII (puis de Paul III après le décès du premier en 1534), présente une série de conférences sur le système de Copernic devant des cardinaux et des papes, qui se montrent intéressés à en savoir plus. Fin 1536, le cardinal Nikolaus von Schönberg (de qui Widmannstetter était maintenant le secrétair) écrit d’ailleurs à Copernic pour l’enjoindre à publier son modèle :
Cvm mihi de uirtute tua, cõſtanti omniũ ſermone ante annos aliquot allatũ eſſet, cœpi tum maiorem in modũ te animo cõplecti, at gratulari etiã noſtris hominibus, apud q̊s tãta gloria floreres. Intellexerã enim te nõ modo ueterũ Mathematicorũ inuẽnta egregie callere, ſed etiã novã Mũdi rationẽ cõſtituiſſe. Qua doceas terrã moueri: Solem imũ mũdi, adeo´ mediũ locũ obtinere: Cœlũ octauũ immotũ, at fixũ perpetuo manere: Lunã ſe unà cũ incluſis ſuæ ſphæræ elementis, inter Martis & Veneris cœlũ ſitam, anniuersario curſu circũ Solem cõuertere. At de hac tota Aſtronomiæ ratione cõmentarios à te cõfectos eſſe, ac erraticarum ſtellarũ motus calculis ſubductos in tabulas te cõtuliſſe, maxima omniũ cum admiratione. Quamobrem uir doctiſsime, niſi tibi moleſtus ſum, te etiã at etiã oro uehementer, ut hoc tuũ inuentũ ſtudioſis cõmunices, & tuas de mundi ſphæra lucubrationes unà cũ Tabulis, & ſi quid habes præterea, q̊d ad eandem rem pertineat, primo quo tempore ad me mittas. Dedi autem negotiũ Theodorico à Reden ut iſtic meis ſumptibus omnia deſcribantur, at ad me transferantur. Quod ſi mihi morem in hac re geſſeris, intelliges te cum homine nominis tui ſtudioſo, & tantæ uirtuti ſatisfacere cupiente rem habuiſſe.
Depuis quelques années déjà, j’entends constamment les louanges de ton génie, et j’ai commencé à t’estimer hautement, et d’en féliciter nos contemporains parmi lesquels tu te couvres d’une telle gloire. J’ai en effet appris que non seulement tu connais admirablement les découvertes des anciens mathématiciens, mais qu’en plus, tu as élaboré un nouveau modèle du Monde [de l’univers], dans lequel la Terre bouge tandis que le Soleil est dans le lieu le plus bas et donc le plus central de l’Univers ; que la huitième [sphère] du ciel demeure fixe et perpétuellement immobile ; et que la Lune, avec tout ce que sa sphère renferme, tourne autour du Soleil en un parcours annuel situé entre les cieux [orbes] de Mars et de Vénus ; que de tout ce système astronomique tu as composé des commentaires et, ayant calculé les mouvements des astres errants [les planètes], composé des tableaux que tous admirent grandement. C’est pourquoi, homme très docte [érudit], je te demande de la manière la plus instante — à moins que je ne te dérange — de communiquer aux savants ta découverte, et de m’envoyer aussi rapidement que possible les fruits de tes études sur la sphère du monde, avec les tableaux, et tout ce que tu pourrais avoir d’autre à ce sujet. J’ai aussi chargé Théodore de Reden de faire copier tout cela et de me le faire envoyer à mes frais. Si tu veux bien exaucer mon souhait, tu verras que tu as affaire à un homme qui tient ton nom en très haute estime et qui est plein de désir de rendre justice à ton génie.
Malgré l’importance historique de De revolutionibus et du modèle de Copernic, celui-ci n’est pas meilleur que les autres… Owen Gingerich et Barbara Welther écriront :
L’un des premiers résultats vraiment intéressants de cette enquête concerne l’amélioration remarquablement faible apportée par les travaux de Copernic. […] Kepler s’est plaint de moments spécifiques où les [Tables] pruténiques plaçaient Mars à plus de 5° de sa position réelle. […] Rien de tout cela n’est très surprenant si l’on considère que l’œuvre de Copernic était avant tout une transformation géométrique [du système] de Ptolémée, avec des paramètres numériques presque identiques.
En fait, Copernic n’est pas tant « le » révolutionnaire que celui qui ouvre la porte aux révolutionnaires potentiels. De revolutionibus sera lu par de nombreux astronomes — quoiqu’en dise Arthur Koestler — qui y verront la possibilité de faire valoir leur propre modèle, qu’il soit bon ou non. Bien sûr, seul un modèle parfaitement fonctionnel allait émerger du lot…
La véritable révolution arrive avec Johannes Kepler , un prolifique professeur de mathématiques à l’école protestante de Graz (Autriche moderne), poste qu’il occupe dès l’âge de 22 ans. Fin 1596, au tournant de ses 25 ans, il publie Mysterium cosmographicum (« Le mystère cosmographique ») , première défense publique du système de Copernic, et dans lequel il propose une cosmologie basée sur les polyèdres réguliers : le Soleil étant entouré par la sphère de Mercure, celle-ci tient dans un octaèdre ; celui-ci contient la sphère de Vénus, entourée d’un icosaèdre ; puis vient la sphère de la Terre et de la Lune, ceinte d’un dodécaèdre ; la sphère de Mars est entourée d’un tétraèdre ; et la sphère de Jupiter est entourée d’un cube, autour duquel se trouve la sphère de Saturne (voir diagramme ci-contre).
Cherchant à parfaire et augmenter son modèle, Kepler correspond avec certains lecteurs de son livre, dont Tycho Brahe, qui l’invite à Benátky nad Jizerou (près de Prague) pour travailler avec lui, où il arrive le 4 février 1600. N’ayant pas accès à toutes les observations de Tycho (bien que plus qu’au début), Kepler tente de négocier un contrat de travail avec lui, mais cela tourne au vinaigre et Kepler quitte pour Prague le 6 avril, mais il reviendra bientôt, après une réconciliation et une négociation réussie. Retourné à Graz en juin pour en ramener sa famille et ses biens, il s’en trouve banni en août pour refus de se convertir au catholicisme. Tycho l’aide financièrement et l’affecte au calcul de nouveaux tableaux de calcul des positions planétaires, les Tables rudolphines, qui doivent remplacer les Tables pruténiques publiées par Erasmus Reinhold en 1551 et basées sur le modèle de Ptolémée.
Tycho meurt fin 1601, et Kepler se bat pendant quelque temps contre sa succession pour obtenir les documents contenant les données observationnelles des planètes, spécialement celles de Mars, pour finalement gagner. Entretemps, il est nommé successeur de Tycho comme mathématicien impérial, ce qui lui assure en théorie un très bon revenu, mais il a souvent des difficultés à se faire payer, et quand la santé de Rodolphe II décline, en 1611, Kepler comprend vite que son successeur comme roi de la Bavière, son frère Matthias (qui deviendra empereur au décès de Rodolphe en 1612), n’a pas Kepler dans son cœur, et il commence à chercher de nouveaux patrons. Matthias garde toutefois Kepler à son emploi, mais lui permet de déménager à Linz (Autriche moderne).
Entretemps, en 1609, Kepler publie Astronomia nova (« Nouvelle astronomie ») , dans lequel il propose un système cosmologique radicalement différent de tout ce qui a été fait jusqu’alors : plutôt que d’être portées sur des sphères cristallines, les planètes (dont la Terre) flottent dans le vide mais parcourent des orbites de forme essentiellement elliptique autour du Soleil. Une force doit exister entre celui-ci et les planètes (que Kepler compare au magnétisme), qui décroît avec la distance, expliquant la variation de vitesse des planètes sur leur orbite.
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on cherche à attribuer des causes physiques plutôt que surnaturelles aux phénomènes célestes.
Cela est « une allégation étrange et controversée » selon Aviva Rothman, qui fera en sorte que Kepler sera initialement mal compris, mais qui est à la base de la science moderne. Alexandre Koyré et d’autres le décriront d’ailleurs comme un des personnages les plus importants (sinon le plus important) de la Révolution scientifique . D’une branche de la philosophie, l’astronomie devient physique et mathématique : elle ne représente plus le domaine des divinités, mais bien quelque chose de (potentiellement) tangible.
Deux règles physiques — aujourd’hui appelées lois de Kepler — régissent ainsi le mouvement des planètes :
En 1619, dans son Harmonices Mundi (« L’harmonie des mondes »), Kepler présente une troisième loi :
Un autre aspect original d’Astronomia nova est que Kepler y explique en long et en large son cheminement de pensée, incluant les détours sans issues ; auparavant, on se contentait simplement d’énoncer les résultats. On peut donc y lire qu’il a émis une première hypothèse sur le mouvement de Mars, et que ce n’est qu’après avoir essayé d’y adapter une quarantaine de courbes ovoïdes différentes qu’il se résigna à essayer l’ellipse, une courbe qu’il avait d’abord rejetée parce que « trop simple ».
Si le modèle cosmologique de Kepler explique très bien comment le système solaire fonctionne, il n’explique toutefois pas pourquoi il fonctionne ainsi — mais l’œuvre de Kepler ouvre la voie à cette explication, qui viendra avec Isaac Newton. Mais voyons d’abord un autre personnage important de la Révolution scientifique ; aux yeux de plusieurs, tout aussi important que Kepler et Newton…
Au sujet de celui que l’on nomme en français Galilée , il convient dès le départ de disperser un mythe : il n’a pas inventé la lunette d’approche, et il ne fut pas le premier à en pointer une vers le ciel. Il est par contre le premier à publier ses observations , et il avait un assez bon réseau social, étant notamment un ami de longue date du cardinal Maffeo Barberini, qui devint le pape Urbain VIII en 1623.
C’est vers la fin de 1609 que Galilée pointe une lunette d’approche vers le ciel. L’instrument a été inventé un peu plus d’un an plus tôt par… on ne sait pas qui ! En effet, Adriaan Adriaanszoon dit Metius , Hans Lipperhey , et Zacharias Janssen , aux Pays-Bas, se sont disputé la paternité de l’invention — les deux premiers ont déposé une demande de brevet pour l’invention à quelques jours d’intervalle : Metius reçut un prix, et Lipperhey eut le contrat de fabriquer des jumelles pour la marine néerlandaise ; quant à Janssen, il était à Francfort où il tentait de vendre l’instrument. En Angleterre, Thomas Digges a noté que son père, Leonard , avait « maintes fois, par des lentilles proportionnelles [ . . . ] découvert des choses lointaines, lu des lettres, compté des pièces de monnaie [ . . . ] [et] déclaré à sept miles [de distance] ce qui était fait à cet instant dans des lieux privés ».
Galilée avait seulement entendu parler de l’instrument avant de fabriquer le sien, puis avait entrepris de l’améliorer. Une de ses lunettes avait un objectif consitué d’une lentille de 37 mm de diamètre — mais avec un masque (« diaphragme ») n’en dévoilant que 15 mm, pour augmenter la qualité de l’image à cause des distorsions optiques — et une distance focale de 980 mm. L’oculaire en est aujourd’hui perdu, mais devait donner un grossissement d’environ 21× et un champ de vision d’environ 15′. Une autre lunette avait un objectif de 51 mm de diamètre, diaphragmé à environ 26 mm, et 1 330 mm de focale ; son oculaire, de 26 mm de diamètre, fournissait un grossissement d’environ 14× et un champ de vision de, lui aussi, environ 15′.
La première cible de Galilée fut, sans surprise, la Lune, sur laquelle il put observer des montagnes, des vallées, et des cratères ; cela apportait la preuve que les Anciens avaient tort en affirmant que les corps célestes étaient parfaits et sans aspérités . De plus, Galilée observa que Vénus affichait des phases semblables à celles de la Lune, ce qui n’était possible que si elle était parfois plus près, parfois plus loin, que le Soleil, rendant ainsi impossible le concept de sphères cristallines célestes, et pointant fortement vers le fait que le Soleil est le centre de la révolution de Vénus. Cela était un excellent argument en faveur du modèle cosmologique de Copernic, qui avait encore du mal à s’implanter, près de quarante ans après sa publication. Mais le clou dans le cercueil de l’aristotélisme et du géocentrisme fut l’observation de quatre astres gravitant autour de Jupiter : si la Terre était le centre de l’univers et de toutes les révolutions des sphères célestes, comme Aristote le disait, une telle observation serait impossible. Galilée détenait la preuve que la Terre n’est pas le centre de l’univers, et il en fit part aux gens qu’il connaissait ; la nouvelle atteignit bientôt l’entourage du pape, qui demanda l’avis de Christoph Clavius , qui confirma bientôt l’observation de Galilée, tout en indiquant ne pas trop savoir comment interpréter la nouvelle. Lors d’une visite à Rome en 1611, Galilée est accueilli en héros et est grassement récompensé pour ses découvertes. Bien qu’il ait été un ardent défenseur du modèle de Ptolémée, Clavius dut reconnaître que les astronomes devaient revoir l’arrangement des orbes célestes :
Nolo tamen hoc loco Lectorem latere, non ita pridem ex Belgio apportatum eſſe inſtrumentum quoddam inſtar tubi cuiuſdam oblongi, in cuius baſibus compacta ſunt duo vitra, ſeu perſpicilla, quo obiecta à nobis remota valde propinqua apparent, & quidẽ longe maiora, quã reiſa ſunt. Hoc inſtrumento cernuntu plurimę ſtellæ in Firmamẽto, quæ ſine eo nullo modo videri poſſunt: præſertim in Pleiadibus; circa Nebuloſam Cancri; in Orione; via Lactea & alibi: Sed hoc non aduerſatur ijs, quæ de numero ſtellarum 1022 ſupra retulimus: quia nos locuti ſumus de ſtellis, quæ ſine auxilio illius inſtrumenti commode conſpici poſſunt. Luna quoque, quando eſt corniculata, aut ſemiplena, mirum in modum refracta, & aſpera apparet, vt mirari ſatis non poſſim, in corpore Lunari tantas in eſſe inæqualitates. Verum hac de re conſule libellum Galilæi Galilæi, quem Sidereum Nuncium inſcripſit, Venetija impreſſum anno 1610, in quo varias obſeruationes ſtellarum à ſe primo ſactas describit.
Inter alia, quæ hoc inſtrumento viſuntur, hoc non poſtrumum locum obtinet, nimirum Venerem recipere lumen à Sole inſtar Lunæ, ita vt corniculata nunc magis, nunc minus, pro diſtantia eius à Sole, appareat. Id quod non ſemel cum alijs hic Romæ obſeruaui. Saturnus quoque habet coniunctas duas ſtellas ipſo minores, vnam verſus Orientem, & verſus Occidentem alteram. Iuppiter denique habet quatuor ſtellas erraticat quæ mirum in modum ſitum & inter ſe, & cum Ioue variant, vt diligenter & accurate Galilæus Galilæi deſcribit.
Qvæ cum ita ſint, videant Aſtronomi, quo pacto orbes cœleſtes conſtituendi ſint, vt hæc phænomena poſſint ſaluari.
Je ne veux pas cacher au lecteur qu’il n’y a pas longtemps, un certain instrument a été apporté de Belgique. Il a la forme d’un long tube dans les bases duquel sont fixées deux verres, ou plutôt des lentilles, par lesquelles les objets éloignés de nous apparaissent beaucoup plus proches qu’ils ne le sont. Cet instrument montre beaucoup plus d’étoiles au firmament qu’on ne peut en voir de quelque manière que ce soit sans lui, en particulier dans les Pléiades, autour des nébuleuses du Cancer et d’Orion, dans la Voie lactée, et ailleurs. Ceci n’est pas en contradiction avec le nombre de 1 022 étoiles que nous avons mentionné ci-dessus ; nous parlions alors d’étoiles qui peuvent être facilement vues sans l’aide de cet instrument. La Lune aussi, quand elle est un croissant ou à moitié pleine, elle apparaît si remarquablement fracturée et rugueuse que je ne peux pas assez m’émerveiller qu’il y ait une telle irrégularité dans le corps lunaire. Consultez le petit livre fiable de Galileo Galilei, imprimé à Venise en 1610 et appelé Sidereus nuncius, qui décrit diverses observations des étoiles faites par lui pour la première fois.
Loin de la moindre des choses vues avec cet instrument, Vénus reçoit sa lumière du Soleil comme la Lune, de sorte que parfois elle ressemble plus à un croissant, parfois moins, selon sa distance au Soleil. À Rome, j’ai observé cela, en présence d’autres, plus d’une fois. Saturne est joint par deux étoiles plus petites, l’une à l’est, l’autre à l’ouest [les anneaux ne furent identifiés comme tels qu’en 1656]. Enfin, Jupiter a quatre étoiles itinérantes, qui varient leurs places d’une manière remarquable à la fois entre elles et par rapport à Jupiter — comme Galileo Galilei le décrit avec soin et précision.
Puisque les choses sont ainsi, les astronomes doivent considérer comment les orbes célestes peuvent être disposés pour sauver ces phénomènes.
Galilée a en effet publié ses premiers résultats dans Sidereus nuncius , qui est reçu différemment par ses lecteurs : certains disent que les lentilles de Galilée devaient avoir des défauts, et que les satellites de Jupiter ne sont que leur effet et n’existent donc pas. D’autres cependant confirment les observations : c’est le cas notamment de Thomas Harriot, Joseph Gaultier de la Vatelle, Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, et Simon Marius ; ce dernier soulève toutefois la controverse en affirmant avoir observé les quatre lunes avant Galilée, mais il utilisait encore le calendrier julien plutôt que le calendrier grégorien — Galilée a donc observé les objets un jour avant Marius ! Ce dernier a toutefois gardé sa place dans l’histoire, en proposant des noms pour ce que Galilée appelait génériquement les « étoiles médicéennes » : Io, Europa (ou Europe en français), Ganymede (Ganymède en français), et Callisto, du nom de quatre conquêtes amoureuses de Jupiter dans la mythologie romaine. (Ces noms ne sont toutefois que très rarement utilisés avant… le vingtième siècle ! Les astronomes utilisaient principalement les désignations Jupiter I, Jupiter II, Jupiter III, et Jupiter IV ; c’est la NASA qui a « dépoussiéré » les noms proposés par Marius, lors du lancement des sondes Pioneer 10 et Pioneer 11 vers la planète géante, étant d’avis que ces noms allaient avoir plus de succès auprès du public que les désignations en chiffres romains).
Si l’Église accueille d’abord bien les découvertes de Galilée, les choses tournent toutefois mal pour lui par la suite, puisqu’il professait ouvertement l’héliocentrisme de Copernic, qui était considéré comme contraire aux Écritures. En 1616, il fut instruit de ne plus parler d’héliocentrisme et d’en abandonner l’idée. Quand, en 1623, un ami de Galilée, le cardinal Maffeo Barberini, fut élu pape (Urbain VIII), le scientifique italien retrouva son optimisme ; même qu’Urbain VIII lui demanda d’écrire un livre présentant des arguments pour et contre la thèse héliocentrique, et la publication (en 1632) fut autorisée par l’Inquisition et permise par le pape. L’ouvrage, Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo (« Dialogue sur les deux principaux systèmes du monde »), fut toutefois mal reçu par le pape : un des personnages du livre, Simplicio, qui prônait le géocentrisme, y était dépeint comme simple d’esprit ; le Dialogue était donc fortement en faveur de l’héliocentrisme, ce qui avait été interdit à Galilée.
La suite est connue : Galilée est condamné par l’Inquisition à réfuter l’héliocentrisme et à rester enfermé chez lui ; ses écrits furent aussi tous mis à l’Index, incluant tout futur ouvrage. Cela ne l’a pas empêché d’écrire et de publier Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze (« Discours et démonstration mathématique sur les deux nouvelles sciences », 1638), principalement sur la physique (chute des corps, mouvement, etc.). Il fut aussi autorisé à retourner à sa villa d’Arcetri, près de Florence, en 1634, où il passa le reste de ses jours, décédant à 77 ans en 1642.
Né un an presque jour pour jour après le décès de Galilée, Isaac Newton a probablement plus contribué à l’avancement de la science en général que quiconque auparavant : fondation de la mécanique classique, codécouverte du calcul infinitésimal, invention du télescope à miroir, théorie de la couleur en optique, calcul de la vitesse du son, méthode de calcul des racines d’une fonction mathématique, et découverte de la loi de la gravitation universelle, pour ne nommer que quelques-unes de ses réalisations.
Newton dit avoir eu eu son inspiration en voyant une pomme tomber d’un arbre ; certains disent qu’il l’aurait même reçue sur la tête : le pommier en question étant même encore supposément au même endroit — ou une repousse, mais comme la reproduction des pommiers est asexuée, ce sont donc des clones. En se demandant pourquoi la pomme tombait toujours en ligne droite vers le sol, il a compris que la Terre l’attirait — mais aussi, que la pomme attirait la Terre, en proportion de leur masse respective. Puis, il s’est interrogé sur la limite spatiale de cette force de gravité, et s’est dit qu’elle pouvait se propager indéfiniment ; la Lune est donc attirée par la Terre.
Mais cette histoire doit être prise avec un grain de sel. Même avec un kilo de sel. Dans les notes de Newton récupérées après son décès, on constate qu’il a commencé à songer à un modèle de la gravité inversement proportionnelle à la distance vers 1666 — dans le jardin de sa mère , pendant qu’il était confiné à la maison suite à la fermeture temporaire du Trinity College de Cambridge à cause de la grande peste de Londres —, ce n’est qu’en 1684 ou 1685 qu’il finalise sa théorie de la gravitation universelle .
Newton publie Philosophiæ naturalis principia mathematica (« Principes mathématiques de philosophie naturelle ») en 1687, dans lesquels il présente cette théorie, ainsi que trois lois qui gouvernent le mouvement des corps en général :
Lex. I.
Corpus omne perſeverare in ſtatu ſuo quieſcendi vel movendi uniformiter in directum, niſi quatenus a viribus impreſſis cogitur ſtatum illum mutare.
Loi 1.
Tout corps persévère dans l’état de repos ou de mouvement en ligne droite dans lequel il se trouve, à moins que quelque force n’agisse sur lui, et ne le contraigne à changer d’état ;
Lex. II.
Mutationem motus proportionalem eſſe vi motrici impreſſæ, & fieri ſecundum lineam rectam qua vis illa imprimitur.
Loi 2.
Les changements qui arrivent dans le mouvement sont proportionnels à la force motrice, et se font dans la ligne droite dans laquelle cette force a été imprimée ;
Lex. III.
Actioni contrariam ſemper & æqualem eſſe reactionem: ſive corporum duorum actiones in ſe mutuo ſemper eſſe æquales & in partes contrarias dirigi.
Loi 3.
L’action est toujours égale et opposée à la réaction ; c’est-à-dire, que les actions de deux corps l’un sur l’autre sont toujours égales, et dans des directions contraires.
(Dans sa copie imprimée (maintenant à la bibliothèque de l’Université de Cambridge), Newton a rayé la première partie de la troisième loi et mis le « c » de « corporum » en majuscule.)
La loi de l’attraction universelle s’énonce ainsi — à noter qu’elle est en deux parties dans le troisième livre des Principia :
Prop. VII. Theor. VII.
Gravitatem in corpora univerſa fieri, eamque proportionalem eſſe quantitati materiæ in ſingulis.
Prop. VIII. Theor. VIII.
Si Globorum duorum in ſe mutuò gravitantium materia undique, in regionibus quæ à centris æqualiter diſtant, homogenea ſit: erit pondus Globi alterutrius in alterum reciprocè ut quadratum diſtantiæ inter centra.
Prop. VII. Théor. VII.
La gravité appartient à tous les corps, et elle est proportionnelle à la quantité de matière que chaque corps contient.
Prop. VIII. Théor. VIII.
Si la matière de deux globes qui gravitent l’un vers l’autre est homogène à égales distances de leurs centre : le poids de l’un de ces globes vers l’autre sera réciproquement comme le carré de la distance qui est entre leurs centres.
[Les traductions françaises ci-dessus sont d’Émilie de Breteuil, marquise du Châtelet (1756).]
À l’instar des Révolutions de Copernic, les Principia de Newton sont un livre assez rare et qui s’échange contre une somme d’argent très rondelette — le marchand de livres rares Peter Harrington, dans son catalogue Masterpiece 2020, demandait 450 000 £ pour une première édition. Mordechai Feingold et Andrej Svorenčík [2020] ont recensé un total de 386 copies au cours d’une recherche étalonnée sur une décennie — dont trois au Canada : une à l’Université Dalhousie (Halifax), une à l’Université de Toronto, et une à l’Université McGill (Montréal), cette copie de la deuxième impression étant disponible en ligne.
Le fait que le Soleil n’est pas exactement au centre du système solaire, tel qu’énoncé par Copernic, s’explique par l’égalisation des forces et des masses du Soleil et des planètes. De plus, la troisième loi de Kepler (voir ci-dessus) peut être dérivée à partir des lois de Newton. Partant de la seconde loi de Newton appliquée au mouvement circulaire :
F | = | m | v2 |
r |
où F est la force « centrifuge » de la planète en orbite, mais qui est forcément balancée par la gravité ; m la masse de la planète ; v sa vitesse orbitale (tangentielle) ; et r le rayon de son orbite. Nous remplaçons d’abord F par la formule de la gravité de Newton :
G | mM | = | m | v2 |
r2 | r |
où G = 6,6743 · 10−11 m3 kg−1 s−2 est la constante de la gravitation ; m est la masse de la planète et M celle de son étoile (ici, le Soleil). Les deux m s’annulent, de même qu’un des r de gauche avec celui de droite :
G | M | = | v2 |
r |
Mais la vitesse de la planète est forcément la circonférence de son orbite (égale à 2πr) divisée par la période (P) ; nous avons donc :
v | = | 2πr |
P |
et de là
G | M | = | 4πr2 |
r | P2 |
Isolons maintenant P2 :
P2 | = | 4π2r3 |
GM |
En donnant maintenant les indices 1 et 2 à deux planètes sur des orbites différentes, nous avons, vu que les 4π2 et les GM s’annulent :
P12 | = | r13 |
P22 | r23 |
Qui n’est rien d’autre que la troisième loi de Kepler : le carré des temps de révolution est égal au cube des distances. On peut aussi réarranger l’avant-dernière étape pour connaître la masse du corps central (ici, le Soleil) :
M | = | 4π2r3 |
GP2 |
Puisque la gravitation, selon la théorie de Newton, est universelle, ces formules s’appliquent à tout couple de corps, peu importe leur masse respective ou la distance entres les deux.
Bien qu’il ait eu une forte personnalité, Newton affirme, dans une lettre à Robert Hooke, que « s’[il a] vu plus loin, c’est en étant debout sur les épaules de géants ». Il n’a pas découvert la gravité, puisque même les anciens Grecs la connaissaient, mais il l’a définie comme une force invisible qui agit à distance et l’a quantifiée, mesurée, et formalisée mathématiquement.
Nicolas Copernic a changé notre point de vue sur l’univers en déplaçant la Terre du centre de celui-ci ; Tycho Brahe a accru la précision des instruments scientifiques et pris conscience des erreurs inhérentes à toute mesure ; Galileo Galilei a pris ce qui se voulait être un instrument militaire et l’a pointé vers le ciel, tout en formalisant la démarche scientifique — observation, hypothèse, expérience, conclusion — ; enfin, Johannes Kepler et Isaac Newton ont transformé l’astronomie et la physique, de « philosophies » qu’elles étaient, en réalités descriptibles par les mathématiques et ayant des causes étudiables et mesurables. L’humanité s’en trouvait changée — sans compter les autres changements venant avec cette époque dans d’autres domaines —, mais pas l’univers, qui était « simplement » mieux expliqué. Mais une surprise allait tout changer…
Il est difficile de faire l’histoire d’un domaine sans au moins effleurer celle d’un autre — nous avons, par exemple, mentionné l’origine de l’écriture ainsi que l’interaction des peuples mésopotamiens entre eux. William Herschel nous force un peu à le faire encore une fois : né Frederick Wilhelm Herschel à Hanovre (Allemagne moderne), il s’établit en Angleterre à cause d’un événement qui s’est produit vingt-quatre ans avant sa naissance.
Le 1er août 1714, la reine Anne de Grande-Bretagne et d’Irlande décède sans avoir eu d’enfant (malgré 17 grossesses). La couronne devant, selon l’acte d’Établissement (1701), revenir à un parent protestant de la défunte, c’est Georg Ludwig, électeur d’Hanovre, qui est désigné pour lui succéder — il devient George II de Grande-Bretagne. Quarante ans plus tard, en 1754, la guerre éclate entre la Grande-Bretagne et la France par rapport à leurs colonies en Amérique du Nord ; cette guerre de la Conquête aura sa contrepartie en Europe et deviendra la guerre de Sept Ans, que l’on pourrait qualifier de première guerre mondiale quand on considère les états impliqués (voir carte ci-contre).
En 1755, la Garde hanovrienne, dont Wilhelm et son frère Jakob font partie (comme hautboïstes), est envoyée en Angleterre pour défendre le royaume contre une possible attaque de la France, mais la menace passe et ils retournent dans leur pays natal. En 1757, la France attaque Hanovre ; après une bataille perdue, Isaak Herschel renvoie ses fils en Angleterre — Jakob a reçu sa décharge de l’armée, mais Wilhelm a pour ainsi dire déserté (il a été pardonné par le roi George III, petit-fils et successeur de George II, en 1782).
William y gagne son pain comme musicien (compositeur et instrumentiste), mais s’intéresse bientôt à l’astronomie (ses observations débutent en 1773), et il entreprend de fabriquer son propre télescope — il polira, au cours de sa vie, plus de 400 miroirs et vendra plus de 60 télescopes complets, ce qui sera pour lui une bonne source de revenus : le prince de Canino lui aurait notamment versé 2 310 £ pour un télescope, et le roi d’Espagne, 3 150 £ pour un autre, de 60 cm de diamètre et 7,6 m de focale, qui sera installé à l’Observatoire royal de Madrid, malheureusement détruit pendant la guerre d’indépendance de l’Espagne (1808–1814).
Les sujets d’observation principaux de William Herschel sont les étoiles doubles et les objets de ciel profond : amas stellaires, nébuleuses, et galaxies — ces dernières étant alors encore appelées « nébuleuses ». Son frère Alexander et sa sœur Caroline l’assistent, cette dernière pendant presque toute sa vie. Il découvre aussi le rayonnement infrarouge en 1800, et établit que le corail n’est pas une plante mais bien un animal. Il est toutefois plus reconnu aujourd’hui pour ce qu’il observe le soir du 13 mars 1781.
In the quartile near Zeta Tauri, the loweſt of two is a curious either nebulous ſtar or perhaps a comet. A ſmall ſtar follows the comet at two-thirds of the field’s diſtance.
Dans le quartile près de Zeta Tauri, la plus basse de deux est une curieuse étoile nébuleuse ou peut-être une comète. Une petite étoile suit [en laissant le champ de vision dériver] la comète aux deux tiers de la distance du champ.
D’abord pris pour une comète, l’orbite du nouvel astre est calculée par Anders Johan Lexell , qui conclut qu’il doit être une planète — étrangement, l’article de Lexell est publié en 1783 dans les Acta Academiae scientiarum imperialis petropolitanae pour 1780, ce qui aurait été avant la découverte d’Herschel ! Bien qu’Herschel l’ait appelé Georgium Sidus (« l’étoile de George »), le nom n’est pas populaire, surtout en France ; c’est Johann Elert Bode qui propose d’abord « Uranus » en mars 1782, accepté par une part croissante de la communauté astronomique — mais ce n’est qu’en 1850 que Her Majesty’s Nautical Almanac Office cesse d’utiliser Georgium Sidus et commence à utiliser Uranus.
La découverte d’Uranus change la vie de William Herschel : « Il devint célèbre presque du jour au lendemain, et avec ce renom vint bientôt le patronage royal. Herschel fut dès lors libre du besoin de gagner sa vie comme musicien, et il put dévouer toutes ses énergies à sa passion pour l’astronomie » . Mais les conséquences scientifiques et culturelles sont majeures, puisque le système solaire double de taille. Cela a forcé les astronomes à réviser leur conception de celui-ci. C’est une preuve de plus que les dogmes aristotéliciens sont erronés, voire les Écritures — du moins en ce qui a trait à la composition de l’univers. Et si une planète a été découverte… peut-être y en a-t-il d’autres ?
Entretemps, une « règle » mathématique fut découverte qui rendait compte de la distance relative au Soleil de chaque planète — aujourd’hui, cette relation est appelée « loi de Titius–Bode ». On peut l’exprimer de deux façons différentes (colonne de gauche ; les distances sont en unités astronomiques [≈ distance Terre–Soleil]) :
Formule | Distance prédite | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Mercure | Vénus | Terre | Mars | ? | Jupiter | Saturne | |
a = (4 + x) / 10 | 00,4 | 00,7 | 01,0 | 01,6 | 02,8 | 05,2 | 10,0 |
a = 0,4 + 0,3 × 2n | 00,4 | 00,7 | 01,0 | 01,6 | 02,8 | 05,2 | 10,0 |
Distance observée | 00,39 | 00,72 | 01,00 | 01,52 | ? | 05,20 | 09,54 |
où a est la distance au Soleil en unités astronomiques, x ∈ {0, 3, 6, 12, 24, 48…}, et n ∈ {−∞, 0, 1, 2, …}. Si les distances de Mercure, Vénus, la Terre, et Mars, d’une part, et de Jupiter et Saturne, d’autre part, y sont relativement bien représentées, on peut se demander pourquoi rien ne concorde avec la prédiction 2,8. La découverte d’Uranus semble consolider la relation, avec une prédiction de 19,6 pour une distance moyenne au Soleil réelle de 19,22 unités astronomiques.
Le soir du 1er janvier 1801, la famille solaire s’agrandit encore une fois, non pas de l’extérieur, mais plutôt de l’intérieur. Giovanni Piazzi venait d’observer ce qu’il pensa d’abord être une comète, mais qui s’avéra être de taille bien plus importante. Il publia un court document à ce sujet :
[L]a sera del 1 Gennajo dell’anno corrente [1801 . . . ] la 87a del Catalogo delle Stelle Zodiacali dell’ Ab. la Caille [ . . . ] era essa preceduta da un’altra [ . . . ]. La sua luce era un poco debole, e del colore di Giove, ma simila a molte altre, che generalmente vengono collocate nell’ ottava classe rispetto alla loro grandezza. Non mi nacque quindi alcun dubbio sulla di lei natura.
[L]e soir du 1er janvier de l'année en cours [1801 . . . ] la 87e du Catalogue des étoiles zodiacales de l’Abbé la Caille [ . . . ] était précédée d’une autre [ . . . ]. Sa lumière était un peu faible et de la couleur de Jupiter, mais semblable à beaucoup d’autres, qu’on place généralement dans la huitième classe de grandeur. Aucun doute sur sa nature ne s’éleva en moi.
L’objet fut bientôt nommé Ceres (Cérès en français), du nom de la déesse romaine des moissons, et on confirma qu’il ne s’agissait pas d’une comète ; en fait, on le désigna comme une « planète », à l’image d’Uranus — mais le terme était appliqué à tout objet céleste mobile n’étant pas une comète, puisque Charles Bonnet écrivait déjà, en 1764 (italiques originaux) :
Ces Globes, qui paroiſſent errer dans l’armée des Cieux, ſont les Planètes dont les principales ont le Soleil pour centre commun de leurs révolutions périodiques, & dont les autres, qu’on nomme ſécondaires [sic], tournent autour d’une Planète principale, qu’elles accompagnent, comme des Satellites, dans ſa révolution annuelle.
[ . . . ]
Nous connoiſſons dix-ſept Planètes qui entrent dans la compoſition de notre Syſtème ſolaire ; mais, nous ne ſommes pas aſſurés qu’il n’y en ait pas davantage. Leur nombre s’eſt fort accru par l’invention des Télescopes : des Instruments plus parfaits, des Obſervateurs plus aſſidus ou plus heureux, l’accroitront peut-être encore.
Sa liste comprenait un satellite chacune pour Vénus et la Terre ; quatre pour Jupiter ; cinq pour Saturne, soit 11 (le satellite prétendu de Vénus a depuis été confirmé comme n’existant pas). (Au moment d’écrire ces lignes, on connaît 207 satellites planétaires ; de plus, sept planètes mineures confirmées ou candidates ont au moins un satellite, et 457 planètes mineures ayant au moins un satellite [dont 14 ont deux satellites connus, un a trois satellites connus , et un a cinq satellites connus ].)
Incidemment, la distance moyenne de Cérès au Soleil (2,77 unités astronomiques) correspond assez bien avec la prédiction de la loi de Titius–Bode (2,8). Mais le 28 mars 1802, Heinrich Wilhelm Olbers découvre un autre astéroïde (Pallas, a = 2,77 ua) ; puis, le 1er septembre 1804, c’est au tour de Karl Ludwig Harding d’en découvrir un troisième (Junon, a = 2,67 ua). Olbers récidive le 29 mars 1807 en découvrant Vesta (a = 2,36 ua). Astraea, a = 2,57 ua, est découvert le 8 décembre 1845. En 1847, on en découvre trois : Hebe, a = 2,43 ua, le 1er juillet ; Iris, a = 2,39 ua, le 13 août ; Flora, a = 2,20 ua, le 18 octobre. Comme le veut la coutume (héritée de l’astrologie), chaque nouvel astre est identifié par un symbole : ⚳ Cérès, ⚴ Pallas, ⚵ Junon, ⚶ Vesta, ⚘ Flora, etc.
Les découvertes continuèrent de s’accumuler par la suite, et Johann Franz Encke , éditeur du Berliner Astronomisches Jahrbuch (une figure d’autorité en astronomie à l’époque), indiqua, dans l’édition pour 1854 :
Endlich füge ich noch hinzu, daß bei der Verwickelung und Schwierigkeit der neueren Planetenzeichen ich mir erlaubt habe, statt der Zeichen Zahlen in einen Kreis eingeschlossen einzuführen
Enfin, je voudrais ajouter que — au vu des complications et difficultés avec les symboles planétaires récemment utilisés — j’ai pris la liberté d’utiliser des nombres encerclés plutôt que des symboles
La mécanique céleste de Newton permettait d’expliquer le mouvement de chacun de ces astres. À une chose près…
Les observations d’Uranus dans les années suivant la publication des Tables astronomiques d’Alexis Bouvard (1821) révèlent que la planète ne suit pas l’orbite qu’il a calculée ; d’ailleurs, il n’avait pas pu faire concorder son modèle avec les observations d’Uranus datant d’avant sa découverte — « une de Mayer, une de Bradley, trois de Flamsteed et douze de Lemonnier [1750–1769] » (on sait aujourd’hui que Hipparque semble aussi l’avoir observée en 128 AÈC, et que Flamsteed l’a en fait vue six fois, la prenant pour une étoile et lui donnant même la désignation 34 Tauri), mais avait décidé d’omettre ces 17 observations de son modèle, sur la base de leur imprécision :
[L]’observation de Bradley est unique, le passage n’a été observé qu’au cinquième fil et la hauteur n’a été estimée qu’en degrés et minutes. La même remarque s’applique à l’observation de Mayer. Les observations de Flamsteed sont jugées depuis longtems [𝘴𝘪𝘤], et l’on sait que ses instrumens [𝘴𝘪𝘤] n’étaient ni bien exécutés, ni exactement placés dans le méridien. Quant à celles de Lemonnier, on peut voir dans la Connaissance des Tems [𝘴𝘪𝘤] pour 1821 ce qu’il est permis d’en penser.
—Bouvard 1821, p. xiij
Les registres de Lemonnier sont dans le plus grand désordre ; son écriture est si imparfaite, que très souvent il est impossible de lire ce qu’il a écrit, sur-tout [𝘴𝘪𝘤] les chiffres.
Ses observations ont été faites à un quart de cercle mural ; la pendule dont il faisait usage, était certainement fort médiocre ; car son avance ou son retard diurne variait considérablement d’un jour à l’autre ; souvent on est fort embarrassé pour en conclure sa marche en vingt-quatre heures.
Le désordre qui règne dans ces registres est encore augmenté par le peu de soin qu’il mettait dans les observations des passages au méridien. On trouve souvent des erreurs de plusieurs secondes, eet, quelquefois, de beaucoup plus considérables, comme le prouvent les observations du 15 janvier 1764. Les erreurs des passages par le méridien s’accroissent des défauts particuliers du plan du limbe du quart de cercle, qui, en outre, n’était pas exactement dans le méridien. Comme on ne trouve nulle part une table de correction, on ne peut employer, pour déterminer la position de la planète, que les étoiles qui se trouvent à peu près sur le parallèle de l’astre.
—Connaissance des Tems pour 1821, p. 340
Lemonnier s’était trompé d’environ 9′ de degré sur la position de l’étoile ε des Poissons à laquelle il avait comparé la planète.
—ibid, p. 342
La déviation d’Uranus amène les astronomes à penser qu’il pourrait exister une autre planète, pas encore découverte, au-delà de l’orbite de la planète d’Herschel. Friedrich Wilhelm Fleming s’attelle au calcul de sa position et de son orbite, à la demande de Friedrich Wilhelm Bessel, mais il meurt en 1840 avant d’obtenir des résultats. En 1843, John Couch Adams commence ses travaux au même sujet. En 1845, François Arago demande à Urbain Jean Joseph Le Verrier d’attaquer le même problème. Ce dernier écrit, en 1846 :
Je ne m’arrêterai pas à cette idée que les lois de la gravitation pourraient cesser d’être rigoureuses, à la distance du soleil où circule Uranus. [ . . . ] Je ne saurais croire davantage à la résistance de l’éther [ . . . ]
Les inégalités particulières d’Uranus seraient-elles dues à un gros satellite qui accompagnerait la planète ? Ces inégalités affecteraient alors une très-courte période ; et c’est précisément le contraire qui résulte des observations. D’ailleurs le satellite dont on suppose l’existence devrait être très-gros et n’aurait pu échapper aux observateurs. [ . . . ]
Serait-ce donc une comète qui aurait, à une certaine époque, changé brusquement l’orbite d’Uranus ? Mais alors la période des observations de cette planète de 1781 à 1820 pourrait se lier naturellement, soit à la série des observations antérieures, soit à la série des observations postérieures ; or, elle est incompatible avec l’une et l’autre.
Il ne nous reste ainsi d’autre hypothèse à essayer que celle d’un corps agissant d’une manière continue sur Uranus, et changeant son mouvement d’une manière très-lente.
Les six positions possibles calculées en 1845 et 1846 par Adams sont communiquées à James Challis , directeur de l’Observatoire de Cambridge, mais il n’est pas impressionné par la description que fait Adams de sa méthode de calcul. Plus tard, on découvrira que les positions étaient mauvaises, et que Challis avait observé Neptune au moins deux fois, la prenant pour une étoile, puisque sa carte de cette région du ciel était désuète.
Après avoir tenté en vain de convaincre un astronome français de la validité de ses calculs, Le Verrier envoie, le 18 septembre 1846, une lettre à Johann Gottfried Galle , que celui-ci reçoit le 23 au soir. Il se met presque aussitôt à l’oculaire en compagnie de son étudiant Heinrich Louis d’Arrest , qui suggère d’utiliser une carte du ciel récemment tracée ; Galle observe, et Heinrich compare avec la carte. Neptune est trouvée moins d’une heure après le début des recherches, peu après minuit, à environ 1° de la position annoncée par Le Verrier. Galle observe la planète pendant deux autres nuits, constatant son lent déplacement, et écrit à Le Verrier le 25 septembre (souligné original) :
La planète, dont vous avez signalé la position, réellement existe. Le même jour où j’ai reçu votre lettre, je trouvais une étoile de 8me [sic] grandeur qui n’était pas inscrite dans l’excellente carte Hora XXI (dessinée par Mr. [sic] le Dr. Breminer, de la collection de cartes célestes publiée par l’Académie roy. de Berlin. L’observation du jour suivant décida, que c’était la planète cherchée.
Comme pour Uranus, des observations furent faites de Neptune avant sa découverte : Galilée a même noté son mouvement entre deux observations du 28 décembre 1612 et du 27 janvier 1613, mais n’a pas réalisé qu’il s’agissait d’un nouvel astre. Lalande et son équipe de l’Observatoire de Paris ont aussi observé la planète les 8 et 10 mai 1795, mais l’ont prise pour une étoile, croyant que son mouvement était en fait une erreur dans le rapport précédent. John Herschel (fils de William) a raconté avoir observé Neptune le 14 juillet 1830, mais l’avoir prise pour une étoile lui aussi.
Le nom de Neptune fut suggéré par Le Verrier lui-même, bien qu’il ait pendant un temps essayé de lui donner son propre nom, ce qui ne fut pas populaire hors-France, même si les almanachs français recommencèrent à désigner Uranus comme la planète Herschel afin de rallier les Britanniques au nom de Leverrier pour la nouvelle planète.
Au début du vingtième siècle, on se retrouve donc avec huit planètes et un grand nombre d’astéroïdes, sans compter les comètes et les satellites naturels (« lunes »). Faisons un petit bond dans l’avenir avant de revenir en arrière…
Le cas de Pluton est semblable à celui de Neptune, au sens où on croyait avoir noté des déviations dans la trajectoire de Neptune par rapport aux valeurs calculées. Le 18 février 1930, Clyde William Tombaugh , de l’Observatoire Lowell (Arizona, États-Unis), découvre Pluton assez proche de l’endroit prévu sur deux images prises les 23 et 29 janvier précédents ; une autre image, du 21 janvier, confirme la découverte, annoncée à l’Observatoire du Collège de Harvard le 13 mars 1930, jour anniversaire de la découverte d’Uranus. Venetia Burney , une jeune fille de 11 ans d’Oxford (Angleterre), a l’honneur de baptiser la planète d’après le dieu grécoromain des enfers, mentionné lors d’une conversation avec son grand-père, Falconer Madan, qui la refile à un professeur d’astronomie, qui l’envoie enfin à ses collègues étatsuniens. L’équipe de l’Observatoire Lowell retint trois noms — Minerva, Cronus, et Pluton — et vota pour ce dernier à l’unanimité ; le nom fut publié le 1er mai 1930, et Madan donna 5 £ à Burney en guise de récompense. Depuis, un astéroïde et un cratère sur Pluton ont été baptisés Burney en son honneur, de même qu’un instrument sur la sonde spatiale New Horizons qui visita Pluton en 2015.
Toutefois, il devint rapidement clair que la masse de Pluton n’était pas aussi grande que prédite ; de plus, les supposées déviations dans l’orbite de Neptune disparurent après la révision des paramètres en cause. Les choses demeurèrent au fixe pendant environ soixante-dix ans, avant la découverte de Quaoar en 2002, qui s’avéra avoir une masse et un diamètre comparables à ceux de Pluton. Trois ans plus tard (mais sur des images de 2003), on découvre Eris, encore plus massif que Quaoar ! Ces deux objets venaient rejoindre une famille grandissante d’environ 300 objets (à ce moment-là), situés dans la ceinture de Kuiper, une zone du système solaire extérieure à l’orbite de Neptune (30 à 50 ua) et comparable à la ceinture principale d’astéroïdes (entre Mars et Jupiter), prédite par Gerard Kuiper en 1951, bien qu’il ait cru qu’elle n’existait plus aujourd’hui.
L’Union astronomique internationale se trouva bientôt aux prises avec une question délicate : soit il fallait considérer certains de ces corps nouvellement découverts comme des planètes, soit il fallait classer Pluton comme l’un d’entre eux et non comme une planète. L’UAI décida, en août 2006, de classer Pluton comme une planète naine, catégorie qui regroupait aussi Cérès et Eris à l’origine, puis à laquelle se rajoutèrent Haumea et Makemake en 2008 — certains astronomes militent pour que soient aussi considérés comme planètes naines Quaoar, Sedna, Orcus, et Gonggong ; voire 2002 MS4, Varuna, Ixion, 2013 FY27, et Salacia, cette dernière étant la plus probable des candidates.
La décision complète de l’UAI contient principalement les trois points suivants :
(La version anglaise de cette résolution ajoute « qui ne sont pas des satellites » au point 3, et utilise le terme « nettoyé son orbite » aux points c.) [Note typographique : L’UAI utilise le mauvais caractère, ", pour les guillemets ouvrants et fermants, qui devraient être « et » ; de plus, « système solaire » ne prend pas de capitales en français.]
Le vote ayant abouti à cette résolution est controversé, surtout aux États-Unis, puisque peu de délégués sont alors présents pour voter, et que le point c des sections 1 et 2 est ambigu ; en effet, selon Alan Stern , la Terre, Mars, Jupiter, et Neptune n’ont pas « nettoyé leur orbite » : la Terre est avoisinée par environ 10 000 astéroïdes géocroiseurs, et Jupiter a plus de 100 000 troyens dans sa zone orbitale. « Si Neptune avait nettoyé sa zone, Pluton ne serait pas là », selon lui. Cependant, un paramètre mathématique énoncé par lui et Harold Levison , de même que d’autres proposés par Steven Soter et Jean-Luc Margot , est bien supérieur pour les huit planètes retenues par l’Union astronomique internationale que pour les planètes naines incluant Pluton.
Revenons enfin en arrière, au tout début du vingtième siècle. Des observations de plus en plus précises révélèrent que le périhélie de Mercure — le point de son orbite qui se trouve le plus près du Soleil — avance plus vite que prévu par la mécanique newtonienne. La différence est minime : environ 43″ par siècle. Il est important ici de mettre l’emphase sur le mot « différence », puisqu’à la lecture de certains livres, articles de revues, et sites web, on serait tenté de croire que la précession de l’orbite de Mercure est de 43″ par siècle, mais il s’agit bien de la différence entre la valeur calculée suivant la mécanique classique, qui est d’environ 532″ par siècle, et la valeur observée, d’environ 575″ par siècle.
Price et Rush [1979] indiquent comment calculer la précession du périhélie d’une planète suivant la mécanique classique. On calcule d’abord la force exercée par le Soleil :
F0 | = | −GM0mr−2 |
où G = 6,674 · 10−11 m3 kg−1 s−2 est la constante de la gravitation ; M0 est la masse du Soleil ; m est la masse de la planète ; et r est le rayon moyen de l’orbite. Pour Mercure, on a donc F0 ≈ −1,31 · 1022 N.
L’influence des autres planètes est modélisée comme provenant d’anneaux de masse égale à celle de la planète et de rayon égal à celui de l’orbite de la planète. On a donc d’abord la densité de masse linéaire de l’anneau d’influence :
λi | = | Mi ⁄ 2πRi |
où i est le rang de la planète d’influence (1 pour Mercure, 2 pour Vénus, 3 pour la Terre, etc.). Cela nous donne : λVénus ≈ 7,1607 × 1012 kg m−1 ; λTerre ≈ 6,3541 × 1012 kg m−1 ; λMars ≈ 4,4804 × 1011 kg m−1 ; λJupiter ≈ 3,8818 × 1014 kg m−1 ; et λSaturne ≈ 6,3127 × 1013 kg m−1. La force exercée par tous ces anneaux ensemble est calculée par :
Fa | = |
Gπmk | 8 | λi |
Σ | ak | |||
R2i − ak2 | ||||
i = 1 i ≠ k |
où Ri est le rayon de l’orbite de la planète d’influence ; mk, la masse de la planète d’intérêt (où k est le rang de la planète d’intérêt) ; λi, la densité de masse linéaire de l’anneau d’influence ; et ak, le rayon orbital de la planète d’intérêt.
On a donc pour Mercure Fa ≈ 7,519 × 1015 N. La dérivée du membre de droite nous sera aussi utile :
S | ≡ | 6 | λi |
Σ | R2i + a2 | ||
(R2i − a2)2 | |||
i = 2 |
Ce qui nous donne S ≈ 2,6897 × 10−9. On calcule aussi l’angle apsidal :
ψ | = | π | ⎛ ⎜ ⎝ |
1 − | Fa | − | GπmaS | ⎞ ⎟ ⎠ |
F0 | 2F0 |
Soit ici ψ = ψ ≈ π(1 + 9,8803 × 10−7). Enfin, la précession est donnée par :
ω̇ | ≡ | 2ψ − 2π |
P |
Convertie en degrés, multipliée par 36 525 jours par siècle julien, et multipliée par 3 600 pour l’obtenir en secondes d’arc, nous avons enfin ω̇ ≈ 531,66°.
Lo, Young, et Lee [2013] ont des formules différentes, mais plus complexes et selon eux plus précises. Ils obtiennent une précession du périhélie de Mercure de 554,0″ par siècle, donc comparable.
Tel qu’indiqué ci-dessus, la précession observée est toutefois de l’ordre de 575″ par siècle, signifiant une différence de quelque 42 à 43″ par siècle, confirmée par Le Verrier en 1859. La question de savoir comment l’expliquer suscita les débats pendant longtemps ; l’hypothèse considérée par plusieurs comme la plus probable était la présence d’une planète encore inconnue située entre le Soleil et Mercure. L’idée n’était pas nouvelle, des objets ayant été présumés aperçus passer devant le Soleil ayant été vus notamment par Christoph Scheiner en 1611 ; Capel Lofft en 1818 ; Franz von Gruithuisen en 1819 ; et J.W. Pastorff en 1822, 1823, 1834, 1836, et 1837. La précession en apparence trop rapide de Mercure ne vint que renforcer l’idée, et des mathématiciens l’adoptèrent, notamment Jacques Babinet, qui suggéra même le nom de Vulcain pour la planète. Mais malgré des « découvertes » annoncées, aucune ne tint la route.
C’est alors qu’entre en scène un ancien commis du bureau des brevets de Berne, en Suisse, Albert Einstein . Il s’était déjà fait connaître par la publication de quatre articles majeurs en 1905 (ce qui sera appelé son annus mirabilis (« année merveilleuse »), dans lequel il présente ce qui est depuis appelé la théorie de la Relativité restreinte et déduit la célèbre équation E = mc2 — incidemment, cette formule n’est pas écrite telle quelle dans ses articles ; on y lit plutôt l’équivalent, soit :
Gibt ein Körper die Energie L in Form von Strahlung ab, so verkleinert sich seine Masse um L ⁄ V2. Hierbei ist es offenbar unwesentlich, daß die dem Körper entzogene Energie gerade in Energie der Strahlung übergeht, so daß wir zu der allgemeineren Folgerung geführt werden:
Die Masse eines Körpers ist ein Maß für dessen Energie-inhalt; ändert sich die Energie um L, so ändert sich die Masse in demselben Sinne um L / 9.1020, wenn die Energie in Erg und die Masse in Grammen gemessen wird.
Si un corps dégage une énergie L sous forme de radiation, sa masse diminue par L ⁄ c2. Le fait que la masse se retire d’un corps et devient de l’énergie de rayonnement ne fait aucune différence, donc nous sommes amenés à la conclusion que :
La masse d’un corps est une mesure de son contenu en énergie ; si l’énergie change par L, la masse change de la même façon par L ⁄ (9 · 1020), l’énergie étant mesurée en ergs, et la masse en grammes.
[À noter que la version française de Wikipédia en vigueur au moment d’écrire ces lignes utilise erronément E plutôt que L dans les équations.]
Le concept fait révolution : Einstein réconcilie les équations de Maxwell, gouvernant l’électromagnétique, avec la mécanique classique. Seule la gravité ne fait pas partie du modèle ; elle y sera intégrée en 1915, dans un article simplement intitulé Zur allgemeinen Relativitätstheorie (« Sur la théorie de la Relativité générale »). Non seulement la gravitation est incorporée au modèle, mais dans celui-ci, elle déforme l’espace-temps : l’espace peut être considéré comme un tissu déformé par la présence d’une masse. En se déplaçant en ligne droite sur le tissu (disons, en suivant un des fils de trame), on n’a pas le choix que de suivre une trajectoire courbe au voisinage de la masse (du point de vue d’un observateur externe ; il faut comprendre que l’objet qui se déplace continue de le faire en ligne droite dans son cadre de référence, soit celui du fil du tissu). De plus, si la masse causant la déformation tourne, elle entraine l’espace-temps avec elle — comme si elle tordait le tissu.
C’est ici qu’on trouve l’explication de l’avance « excessive » du périhélie de Mercure : la rotation du Soleil déforme et tord l’espace-temps au point que l’orbite de Mercure est entraînée avec lui et semble donc pivoter autour du Soleil par rapport à un observateur lointain. (Le phénomène ne cesse pas à Mercure, mais devient de plus en plus faible en s’éloignant du Soleil ; par exemple, pour la Terre, l’effet de la Relativité n’est que d’environ 3,8″ par siècle — contre, rappelons-le, environ 43″ par siècle pour Mercure.)
D’ailleurs, Einstein lui-même écrit un article sur la précession du périhélie de Mercure, publié une semaine après le précédent. La formule cruciale y est donnée à la dernière page, après huit pages de dérivation :
ε | = | 24π3 | a2 |
T2c2 (1 − e2) |
où T est le temps de révolution en secondes ; c, la vitesse de la lumière en cm/s ; a, le demi-grand axe de l’orbite en cm (distance moyenne au Soleil) ; et e, l’excentricité de l’orbite. La valeur de ε est en radians par révolution dans le sens de l’orbite ; on la convertit d’abord en degrés, puis on la multiplie par le nombre de révolutions de la planète par siècle.
Pour Mercure, nous avons a = 5,790905 · 1012 cm, T = 7,60053024 · 106 s, et e = 0,20563, ce qui donne environ 5,019 × 10−7 radians par révolution ou 42,98″ par siècle.
La théorie de la Relativité a été démontrée de plusieurs autres façons depuis 1905 / 1915 ; une des démonstrations les plus célèbres est l’observation d’une éclipse de Soleil par Arthur Stanley Eddington et son équipe, le 29 mai 1919 . Deux expéditions furent organisées : une à Sobral, au Brésil, avec Andrew Commelin et Charles Rundle Davidson ; l’autre sur l’île de Príncipe, près de la côte ouest de l’Afrique et appartenant alors au Portugal, avec Eddington et Edwin Turner Cottingham. Malgré un violent orage en avant-midi à Príncipe, les deux équipes trouvent le succès espéré et capturent des images où l’on peut clairement voir — et, surtout, mesurer — des étoiles.
Le travail d’Eddington et son équipe est toutefois critiqué, notamment parce qu’ils n’ont mesuré la position que de quelques étoiles. Une expédition à Wallal, Australie, dirigée par William Wallace Campbell de l’Observatoire Lick, observe l’éclipse du 21 septembre 1922 et mesure plus de 3 000 positions stellaires ; ses résultats sont essentiellement identiques à ceux d’Eddington et son équipe, et tous sont en conformité avec la prédiction d’Einstein.
Il est à noter que la mécanique classique de Newton prévoit aussi la déviation de la lumière au passage près d’une masse, mais cette déviation est seulement d’environ la moitié de la déviation, observée en 1919 et 1922 et prédite par la théorie de la Relativité. De plus, la raison de cette déviation est expliquée différemment par la théorie d’Einstein : l’espace-temps est courbé au voisinage d’une masse ; dans la théorie de la gravitation de Newton, la gravité est une force entre des objets (si on peut considérer la lumière comme un objet…) et non pas une propriété de l’espace-temps, concept qui était inconnu du Britannique, ni même de l’espace. D’ailleurs, Einstein s’était trompé dans un article de 1911 prédisant la déviation de la lumière — c’est en complétant son article sur la théorie de la Relativité générale, en 1915, qu’il a constaté et corrigé son erreur.
Outre l’avance du périhélie de Mercure et la déviation de la lumière au voisinage d’une masse, Einstein a aussi prédit, en 1915, que la lumière subit un décalage vers le rouge causé par la gravité. On dut attendre 1954 avant que cette prédiction soit confirmée, par Daniel M. Popper et son observation du spectre de 40 Eridani B, une étoile naine blanche.
La théorie de la Relativité d’Einstein ne remplace pas la mécanique classique de Newton ; elle est plutôt son complément. La théorie de Newton s’applique aux masses et aux vitesses relativement faibles, tandis que celle d’Einstein est son extension aux masses et vitesses extrêmement élevées. Ainsi, la formule de Newton (en jaune pâle ci-dessous) est simplement incomplète ; la version complète est :
F | = | − | GMm | + | L2 | − | 3GML2 |
r2 | mr3 | mc2r4 |
où G = 6,674 · 10−11 N m2 kg−2 est la constante de la gravitation ; M est la masse du corps central (p. ex., le Soleil) ; m est la masse du corps en orbite ; et L = 2πmr2 ⁄ p est le moment angulaire du corps en orbite, où r est le rayon de l’orbite en mètres et p est la durée de révolution en secondes. Si le moment angulaire est faible en comparaison des autres facteurs, les deux termes de droite sont voisins de zéro. Par exemple, pour Mercure, L ≈ 9,154 · 1038 kg m2 s−1, d’où F = 3,761604 × 1016 N en mécanique classique, tenant compte du moment angulaire (portions jaune pâle et bleu pâle ci-dessus), et F = 3,761594 × 1016 N si on compte l’apport de la Relativité. La différence, de l’ordre de 1011 N, correspond environ à la force exercée sur la Terre par la population entière du Bangladesh (environ 170 millions d’habitants), donc très négligeable à l’échelle cosmique.
Le modèle mathématique de Newton ne doit donc pas être relégué aux oubliettes, et il convient parfaitement à la majorité des applications. En fait, même la NASA, dans ses calculs pour envoyer des sondes spatiales sur Mars, par exemple, utilise seulement les équations newtoniennes.
Un des postulats les plus célèbres de la théorie de la Relativité est que la vitesse de la lumière dans le vide est toujours la même, quel que soit notre cadre de référence (notre vitesse), et que rien ne peut se déplacer plus vite qu’elle. En fait, même atteindre la vitesse de la lumière est impossible pour un objet ou une particule ayant une masse non nulle, puisque cela demanderait une quantité d’énergie infinie, la masse d’un objet augmentant alors que sa vitesse approche celle de la lumière ; ainsi, toute accélération supplémentaire demande de plus en plus d’énergie.
Un autre postulat de la théorie de la Relativité est que le temps ralentit pour un objet qui se déplace rapidement. La preuve en a été fournie suite au lancement des satellites de positionnement global GPS ; si on ne tient pas compte des effets relativistes, la précision de leurs données diminue très rapidement dans le temps. Les ingénieurs de ces satellites étaient sceptiques à ce propos au départ, et s’apprêtaient à lancer les satellites sans tenir compte des effets relativistes ; on leur suggéra de quand même rendre la correction possible, ce qui fut fait. Les premières orbites furent complétées sans correction : quand la position rapportée pour le receveur s’éloigna de la réalité, force fut de constater qu’il fallait en effet activer la correction.
Une autre conséquence de cette compression du temps est que pour un objet qui se déplace à la vitesse de la lumière, le temps est complètement arrêté ; du point de vue d’un photon émis il y a des milliards d’années par une galaxie que l’on observe au télescope, son émission et sa réception par l’œil sont simultanées. Évidemment, pour l’observateur externe que nous sommes, des milliards d’années se sont écoulées.
L’invariabilité de la vitesse de la lumière dans le vide et la contraction du temps peuvent s’expliquer parce que, à strictement parler, tout objet se déplace à la vitesse de la lumière dans l’espace-temps, même s’il semble au repos. Plus la vitesse de l’objet dans l’espace est élevée, moins sa vitesse dans le temps est élevée ; ainsi, pour un objet au repos, le temps s’écoule normalement, mais plus sa vitesse spatiale augmente, plus son temps ralentit. Le diagramme ci-contre illustre le phénomène.
Par conséquent, on ne peut pas aller plus vite que la lumière ; une fois à la vitesse de la lumière, le temps s’arrête, et le concept d’accélération perd alors son sens, puisqu’il n’y a plus de temps dans lequel modifier notre vitesse — on ne peut donc pas accélérer pour dépasser la vitesse de la lumière.
La science-fiction apporte peut-être une solution, soit la déformation de l’espace-temps (space-time warp en anglais, terme qui ne sera pas étranger aux amateurs de la série Star Trek). En 1994, Miguel Alcubierre a proposé une méthode pour changer la géométrie de l’espace-temps en créant une vague qui contracterait celui-ci devant l’astronef et le dilaterait derrière lui, le faisant ainsi surfer la vague tout en demeurant fixe dans sa région de l’espace-temps ; puisque cette vague se déplace dans l’espace, le vaisseau semblerait se déplacer du point de vue d’un observateur externe — ou de deux planètes, une de départ et une d’arrivée.
Le problème est que pour créer une telle vague, de l’énergie négative serait requise, produite à base de matière de masse négative, deux concepts prévus et autorisés par la théorie de la Relativité générale, mais qui n’ont pas encore été observés dans l’univers… En fait, comme l’explique AstronoGeek, le « creux » de la vague ne pose pas de problème ; c’est plutôt le « pic » de celle-ci qui nous est, pour l’instant du moins, impossible à créer.
Toutes ces avancées, et des observations de plus en plus précises, parfois in situ, ont permis d’affiner la théorie du mouvement planétaire. L’humanité est aujourd’hui capable de prédire la position des planètes et des satellites avec assez de précision et d’exactitude pour permettre d’y envoyer des sondes spatiales qui atteignent leur but — un exploit souvent comparé à la réussite d’un « trou d’un coup » au golf, avec pour point de départ Montréal et le trou situé à Los Angeles.
Les modèles présentement les plus précis tiennent compte de tous les facteurs mentionnés ci-dessus : gravité, effets relativistes, vitesse de la lumière, etc. (La position observée d’une planète diffère quelque peu de sa position réelle au même moment, puisque la vitesse de la lumière n’est pas infinie ; on observe donc l’univers comme il était dans le passé, au moment où la lumière a été émise ou réfléchie par l’objet, et compte tenu du temps qu’elle prend à parvenir à l’œil humain ou au détecteur photographique.) Il en existe quelques-uns, différents dans leur approche mais procurant des résultats presque identiques. Deux exemples sont :
VSOP | Sigle de Variations séculaires des orbites planétaires, ce modèle est d’abord développé par Pierre Bretagnon en 1982, puis augmenté progresssivement au fil des années. Il s’agit d’une approche dite analytique. | |
VSOP 82 | Calcul des éléments orbitaux des planètes. | |
VSOP 87 | Six tableaux de facteurs permettant le calcul des éléments orbitaux ou des coordonnées rectangulaires (x, y, z) ou sphériques (longitude, latitude, distance) des planètes, selon un référentiel barycentrique pour J2000.0 ou un référentiel héliocentrique pour J2000.0 ou l’équinoxe du moment. | |
VSOP 2000 | Amélioration de la précision d’un facteur 100 à 1000. | |
VSOP 2002 | Corrections diverses (perturbations lunaires, relativité) et décuplement de la précision. | |
VSOP 2004 | Prise en compte des perturbations produites par les 300 plus gros astéroïdes, l’aplatissement du Soleil (J2), et Pluton. | |
VSOP 2010 | Conformée à l’intégration numérique DE405 (voir ci-dessous) entre +1890 et +2000. Entre −4000 et +8000, ce modèle est environ 5 fois meilleur que VSOP 2000 pour les planètes telluriques et de 10 à 50 fois meilleur pour les planètes gazeuses. | |
VSOP 2013 | Conformée à l’intégration numérique INPOP10a de l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides de l’Observatoire de Paris entre +1890 et +2000. Précision de quelques dizièmes de seconde d’arc (1,6″ pour Mars) entre −4000 et +8000. | |
DE440 | Un modèle numérique développé par le Jet Propulsion Laboratory de la NASA, il est au moins la 27e version du modèle (dont DE405, utilisé de 1998 à 2003), il est basé sur des observations astronomiques optiques et radar. Un superordinateur est requis pour l’exploiter ; il produit des éphémérides pour la période allant de 1550 à 2650 — un total de 114 Mo en fichiers. |
L’approche analytique consiste en un calcul basé sur des formules précises ; elle peut être complétée en un nombre fini d’étapes, mais ne donne des résultats précis qu’à court terme. L’approche numérique consiste plutôt à prendre des données d’observation sur une période donnée et à tenter de déterminer l’évolution passée et future du système, sans connaître (ou utiliser) les formules mathématiques établies ; elle a l’avantage de donner des résultats très précis, même à long terme, mais ceux-ci demandent théoriquement un nombre infini d’étapes — en pratique, on se contente d’un niveau de précision arbitraire. L’approche analytique est donc à la portée des ordinateurs personnels, et suffit d’ailleurs aux besoins des astronomes amateurs et même des professionnels, tant qu’ils ne cherchent pas à poser une sonde sur une autre planète.
Des Babyloniens à la théorie de la Relativité, ce sont donc plus de 5 000 ans d’avancement de la science astronomique, en particulier ici de sa branche de l’astrométrie du système solaire. Notre cosmologie a aussi évolué, d’une Terre centrale enfermée dans la sphère des étoiles, dont l’au-delà était du domaine des divinités, à une Terre qui n’est qu’une planète parmi d’autres tournant autour d’une étoile d’un type très commun, orbitant elle-même autour du centre d’une galaxie parmi tant d’autres… Nos outils ont évolué, nos connaissances et notre compréhension se sont approfondis, mais plusieurs réponses ont soulevé leur lot de questions. Après tout, notre savoir n’est qu’une île au milieu de points d’interrogation ; il nous appartient chaque jour d’augmenter le diamètre de cette île — tout en étant conscients que la circonférence de celle-ci augmentera proportionnellement au carré de ce diamètre, nous mettant en contact avec toujours plus de points d’interrogation.
« Planète » | Soleil | Lune | Mercure | Vénus | Mars | Jupiter | Saturne | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Mésopotamien | Ur III Néo-Assyrien Transcription Personnification |
𒀭𒎙 ou 𒀭𒌓 ou 𒀭𒊮𒈧 ou 𒀭𒄑𒉡 𒀭𒌋𒌋 ou 𒀭𒌓 ou 𒀭𒊮𒈧 ou 𒀭𒄑𒉡 D20, DUTU, DŠA3.MAŠ2, DGIŠ.NU Šamaš, « le Soleil » |
𒀭𒌍 ou 𒀭𒂗𒍪 ou 𒀯𒃲, mais 𒌗 pour l’astre 𒀭𒌍 ou 𒀭𒂗𒍪 ou 𒀯𒃲, ou 𒌗 D30 ou DEN.ZU ou MULGAL Sîn, « la Lune » |
𒀭𒊩𒌆𒅁 ou 𒀯𒇻𒁁𒄞𒌓 ou 𒀯𒈾𒁍𒌑 𒀭𒊩𒌆𒅁 ou 𒀯𒇻𒁁𒄞𒌓 ou 𒀯𒈾𒁍𒌑 DNIN.URTA ou MUL.UDU.IDIM.GU4.UD ou MUL.NA.BU.U2 Šihṭu « l’assaillant » Ninurta |
𒀭𒌋𒐊 ou 𒀭𒊩𒈠𒋜𒀭𒈾 ou 𒀯𒀸𒁁 ou 𒀭𒅖𒋻 𒀭𒌋𒐊 ou 𒀭𒊩𒈠𒋜𒀭𒈾 ou 𒀯𒀸𒁁 ou 𒀭𒅖𒋻 D15 ou DNIN.SI4.AN.NA ou MULDILI.BAT ou DIŠ.TAR Ishtar /ˈɪʃtɑːr/ Inanna (Sum.) ou Ishtar (Ass.) la « Reine du Ciel » |
𒀯𒉌𒁁𒀀𒉡 ou 𒌌𒈾𒅗𒊒 ou 𒀯𒉡𒈨𒀀 𒀯𒉌𒁁𒀀𒉡 ou 𒌌𒈾𒅗𒊒 ou 𒀯𒉡𒈨𒀀 MULSAL.BAT.A.NU ou ULNA.KA.RU ou MULNU.ME.A Ṣalbatânu, Śalbatānu, « Celui par qui la peste arrive » |
𒋼𒌓 ou 𒀯𒊕𒈨𒃻 ou 𒀯𒌓𒀠𒋻 ou 𒀭𒂄𒉺𒌓𒁺 ou 𒀯𒉌𒁉𒊒 𒋼𒌓 ou 𒀯𒊕𒈨𒃻 ou 𒀯𒌓𒀠𒋻 ou 𒀭𒂄𒉺𒌓𒁺 ou 𒀯𒉌𒁉𒊒 MUL2.BABBAR ou MULSAG.ME.GAR ou MULUD.AL.TAR ou DŠUL.PA.E3 ou MULNI.BI.RU Šulpa’e, Marduk |
𒋼𒌉𒁹 ou 𒀯𒇻𒁁𒊕𒍑 ou 𒀭𒊩𒌆𒄈𒋢 𒋼𒌉𒁹 ou 𒀯𒇻𒁁𒊕𒍑 ou 𒀭𒊩𒌆𒄈𒋢MUL2GENNA (MUL2TAR.DIŠ) ou MULUDU.IDIM.SAG.UŠ ou DNIN.GIR2.SU Kaj(j)amanu « le régulier », Ningirsu « le Seigneur de Girsu » |
Grec ancien | Graphie Transcription Prononciation Francisation |
Ἥλιος Hḗlios /hɛ̌ː.li.os/ ⟶ /ˈ(h)e.li.os/ ⟶ /ˈi.li.os/ Hélios |
Σελήνη Selḗnē /se.lɛ̌ː.nɛː/ ⟶ /sɛˈle.ne/ ⟶ /seˈli.ni/ Séléné |
Απόλλων le matin, Ἑρμῆς le soir, personnifié en Στίλβων Apóllôn, Hermễs, Stilbōn /a.pól.lɔːn/ ⟶ /aˈpol.lon/ ⟶ /aˈpo.lon/ /her.mɛ̂ːs/ ⟶ /(h)ɛrˈmes/ ⟶ /erˈmis/ /stíl.bɔː/ ⟶ /ˈstil.bo/ ⟶ /ˈstil.βo/ ⟶ /ˈstil.vo/ Apollon, Hermès, Stilbon « l’éclatant » |
Φωσφόρος le matin, Ἕσπερος le soir, Αφροδίτη en général Phōsphoros, Hésperos, Aphrodítē Phosphoros, Hespéros, Aphrodite |
Ἄρης Árēs /á.rɛːs/ ⟶ /ˈa.res/ ⟶ /ˈa.ris/ Arès |
Δῐ́ᾰ ou Ζεύς, Ζεῦ πάτερ Día ou Zeús, Zeû páter /dí.a/ ⟶ /ˈdi.a/ ⟶ /ˈði.a/ ou /zděu̯s/ ⟶ /zeʍs/ ⟶ /zeɸs/ ⟶ /zefs/, /pá.ter/ ⟶ /ˈpa.tɛr/ ⟶ /ˈpa.ter/ Zeus, Zeus le Père (Dieu le Père) |
Κρόνος Krónos /kró.nos/ ⟶ /ˈkro.nos/ Cronos |
Arabe | Graphie Transcription Prononciation |
شَمْس šams /ʃams/ |
قَمَر qamar /ˈɡəmɑr/, /qa.mar/, /ʔa.mar/ (selon les régions) |
عطارد ʿuṭārid /ʕu.tˤaː.rid/ |
الزهرة ou الزُّهَرَة az-zuhara /az.zu.ha.ra/ |
المريخ ou اَلْمِرِّيخ al-mirrīḵ /al.mir.riːx/ |
اَلْمُشْتَرِي al-muštarī /al.muʃ.ta.riː/ |
زحل ou زُحَل zuḥal /zu.ħal/ |
Sanskrit, hindi | Graphie Transcription Prononciation |
सूर्य ou सूरजsū́rya ou sūraj /súː.ɾi.jɐ/, /súː.ɾ.jɐ/ ⟶ /ˈs̪uːɾ.jɐ/ /suː.ɾəd͡ʒ/, [s̪uː.ɾəd͡ʒ] |
सोम ou चाँदsóma , som ou cā̃d /sɐ́w.mɐ/ ⟶ /ˈs̪oː.mɐ/ ou /t͡ʃɑ̃ːd̪/, [t͡ʃä̃ːd̪] |
बुधbudh /ˈbu.d̪ʱɐ/ |
शुक्रśukra /ɕuk.ɾɐ́/ ou /ʃʊk.ɾᵊ/ |
मङ्गल ou मंगलmaṅgala ou maṅgal /ˈmɐŋ.ɡɐ.l̪ɐ/ ou /məŋ.ɡəl/, [mə̃ŋ.ɡəl̪] |
बृहस्पतिbŕhaspati /bŕ̩.ɦɐs̪pɐ́.t̪i/ ⟶ /bɾɪ.ɦəs.pə.t̪iː/, [bɾɪ.ɦəs̪.pə.t̪iː] |
शनिśani /ɕɐ.ni/ ⟶ /ʃə.niː/, [ʃə.n̪iː] |
Chinois | Graphie Transcription Pron. mandarin Pron. cantonais | 太陽 ⟶ 太阳 Tàiyáng tai4 yang2 taai3 joeng4 |
月球 Yuèqiú yuèqiú jyut6 kau4 |
水星 Shuǐxīng /ʂweɪ̯214–211 ɕiŋ55/ /sɵy̯35 sɪŋ55/ |
金星 Jīnxīng jīnxīng gam1 sing1 |
火星 Huǒxīng huǒxīng fo2 sing1 |
木星 Mùxīng mùxīng muk6 sing1 |
土星 Tǔxīng tǔxīng tou2 sing1 |
Latin | Graphie Pron. classique | Sol, Sōl /soːl/, [s̠oːɫ̪] |
Luna, Lūna /ˈluː.na/, [ˈɫ̪uːnä] |
Mercurius /merˈku.ri.us/ |
Lucifer le matin, Vesper le soir, Venus en général /ˈluː.ki.fer/, [ˈɫ̪uːkɪfɛr], /ˈu̯es.per/, [ˈu̯ɛs̠pɛr], /ˈu̯e.nus/, [ˈu̯ɛnʊs̠] |
Mars, Mārs /maːrs/, [mäːrs̠] |
Iovis, Iŏvis ou Iuppiter, Iūppĭter, Iūpiter, Iovis pater (Iovis le Père) /ˈi̯up.pi.ter/, [ˈi̯ʊpːɪt̪ɛr] |
Saturnus, Sāturnus /saːˈtur.nus/, [s̠äːˈt̪ʊrnʊs̠] |
Anglais | Graphie Pron. États-Unis Pron. Roy. Uni | Sun /sʌn/ /sʌn/ |
Moon /'mun/ /'muːn/ |
Mercury /ˈmɝ.kjə.ɹi/ /ˈmɜː.kjə.ɹi/ |
Venus /ˈviːnəs/ /ˈvinəs/, [ˈvinɪ̈s] |
Mars /ˈmɑɹz/ /ˈmɑːz/ |
Jupiter /ˈdʒupɪtɚ/, [ˈdʒupɪɾɚ] /ˈdʒuːpɪtə/ |
Saturn /ˈsæt.ɚn/ /ˈsæt.ən/ |
Lettre | Nom | Équivalent français (API) | Lettre | Nom | Équivalent français (API) | Lettre | Nom | Équivalent français (API) | Lettre | Nom | Équivalent français (API) | |||||||
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maj. / min. | grec ancien | grec moderne | maj. / min. | grec ancien | grec moderne | maj. / min. | grec ancien | grec moderne | maj. / min. | grec ancien | grec moderne | |||||||
Α α | alpha | [a] | [a] | Η η | êta | [ɛː] | [i] | Ν ν | nu | [n] | [n] | Τ τ | tau | [t] | [t] | |||
Β β | bêta | [b] | [v] | Θ θ | thêta | [tʰ] | [θ] | Ξ ξ | xi | [ks] | [ks] | Υ υ | upsilon | [y] | [i] | |||
Γ γ | gamma | [g] | [ɣ]~[ʝ] | Ι ι | iota | [i] | [i] | Ο ο | omicron | [o] | [ɔ] | Φ φ | phi | [pʰ] | [f] | |||
Δ δ | delta | [d] | [ð] | Κ κ, ϰ | kappa | [k] | [k] | Π π | pi | [p] | [p] | Χ χ | chi | [kʰ] | [x]~[ç] | |||
Ε ε | epsilon | [e] | [ɛ] | Λ λ | lambda | [l] | [l] | Ρ ρ | rhô | [r] | [ɾ] | Ψ ψ | psi | [ps] | [ps] | |||
Ζ ζ | zêta | [d͡z] | [z] | Μ μ | mu | [m] | [m] | Σ σ (ς en fin de mot) | sigma | [s] | [s] | Ω ω | oméga | [ɔː] | [ɔ] |
Caractère | Nom | Valeur phonétique | API |
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ā, ē, ī, ō, ū | longues voyelles | a:, e:, i:, o:, u: | aː, eː, iː, oː, uː |
á, í, ú, â, î, û | pour les langues sémitiques et le sumérien, aucune différence avec la voyelle normale | — | — |
ʿ | demi-anneau à gauche | consonne fricative pharyngale voisée | [ʕ] |
ĝ | g accent circonflexe | consonne nasale vélaire voisée | [ŋ] |
ḥ | h point souscrit | consonne fricative pharyngale sourde | [ħ] |
ḫ | h brève souscrite | consonne fricative vélaire sourde ou consonne fricative uvulaire sourde | [x] ou [χ] |
ḵ | k macron souscrit | consonne fricative vélaire sourde ou consonne fricative uvulaire sourde | [x] ou [χ] |
š | s caron ou s hatchek | consonne fricative post-alvéolaire sourde | [ʃ] |
ś | s accent aigu | consonne fricative latérale alvéolaire sourde | [ɬ] |
ṣ | s point souscrit | s emphatique | [sˤ] |
ṭ | t point souscrit | t emphatique | [tˤ] |
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Dernière mise à jour : 2024-07-17 à 00 h 52 UTC