Les Révolutions de Copernic
Commentaires sur le Livre 3
par Pierre Paquette · 13 août 2023

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La meilleure introduction au Livre 3 que j’aie lue est celle de Swerdlow et Neugebauer dans leur monumental Mathematical Astronomy in Copernicus’s De Revolutionibus :

Quiconque pense que la théorie copernicienne est “plus simple” que la théorie ptolémaïque n’a jamais lu le livre III du De revolutionibus. Dans un système géocentrique, la Terre est au repos — comme en effet elle semble l’être — et tous les mouvements apparents dans les cieux que nous savons résulter de ses mouvements sont répartis entre un certain nombre d’objets, c’est-⁠à-⁠dire le Soleil, les planètes individuelles, la sphère des étoiles fixes, chaque chose à sa place telle qu’elle apparaît réellement. Mais lorsque Copernic a travaillé sur les conséquences de sa propre théorie, il a dû attribuer à la Terre pas moins de trois mouvements fondamentaux et un certain nombre de mouvements secondaires. Que tous ces mouvements composés imposés à un corps unique et, selon toute apparence, au repos aient semblé invraisemblables à ses contemporains n’est pas étonnant, surtout parce que le résultat final n’était rien d’autre que de reproduire les mêmes mouvements apparents dans les cieux qui avaient été expliqués pendant tout ce temps (et sans faire d’hypothèses qui contredisaient la philosophie naturelle contemporaine, le bon sens, et les observations les plus désinvoltes ou les plus méticuleuses alors possibles du comportement de la Terre et des objets sur ou près de sa surface).

Les mouvements que la théorie qu’élabore Copernic se doit d’expliquer d’une façon ou d’une autre sont :

Source : Swerdlow et Neugebauer (1984), p. 128.

Le second mouvement était aussi appelé trépidation. Selon Dobrzycki (1965), « La trépidation étant un phénomène apparent sans existence réelle, elle n’a été que marginalement mentionnée dans les ouvrages de synthèse sur l’histoire de l’astronomie. Cette attitude semble injustifiée, car la trépidation a été pendant sept siècles une composante essentielle de la description scientifique de l’univers ». Les observations dont Copernic dispose impliquent que cette trépidation — une variation du mouvement de précession et de l’obliquité de l’écliptique — soit réelle ; mais il ignore qu’elles sont de mauvaise qualité — ce n’est qu’avec Tycho Brahe (1546–1601) qu’on prit conscience des erreurs d’observation, qui peuvent être instrumentales ou personnelles.

1. La sphère céleste · Le point désigne l’équinoxe vernal moyen. Il est animé d’un mouvement uniforme, la précession des équinoxes, dans la direction de la flèche. Cela entraîne le pôle nord moyen sur le cercle gris, dans le sens de la flèche. De plus, on croyait, à l’époque de Copernic, que ce mouvement accélérait et ralentissait périodiquement, résultat de la trépidation, ce qui entraînait le pôle nord vrai N (non illustré, mais se confondant avec ici) sur un petit segment de l’arc W̅N̅V̅. Voir aussi le diagramme 3 ci-⁠dessous pour une version animée interactive.
E O Équateur céleste Écliptique Γ ⬸ V̅ S T ε ε Adapté de Swerdlow et Neugebauer (1984), p. 581 λ∗

Considérons donc le diagramme ci-⁠contre, où l’écliptique est en bleu et l’équateur céleste en rouge ; sur l’écliptique, la longitude augmente dans le sens antihoraire. La précession est un lente oscillation de l’axe de rotation de la Terre, ici représenté par la droite N̅O, le long du cercle gris tireté passant par . Cela fait en sorte que le point vernal, , où l’équateur croise l’écliptique vers le sud (ou inversement, que l’écliptique croise l’équateur vers le nord), se déplace graduellement dans le sens horaire. Mais de comparer les observations (voir le tableau suivant, où les couleurs correspondent à l’étoile observée) de ses prédécesseurs amène Copernic à croire, comme d’autres avant lui, que le taux de précession et l’obliquité sont variables — et cycliques.

La position de l’étoile γ Ari, point de référence des longitudes écliptiques pour Copernic, est marquée d’une étoile, et sa longitude sur l’écliptique, du point Γ.

NᵒObservateurÉtoileλDate julienneJour julien
1Timocharisβ Sco212°−294-12-211614029
2Timocharisα Vir172° 20′−293-03-091614107
3Timocharisα Vir172° 30′−282-11-091618370
4Hipparqueα Leo119° 50′−128/127?
5Ménélaosα Vir176° 15′+98-01-111756863
6Ménélaosβ Sco215° 55′98-01-141756866
7Ptoléméeα Leo122° 30′139-02-231771881
8Ptoléméeα Vir176° 30′
9Ptoléméeβ Sco216° 20′
10al-⁠Battānīα Leo134° 05′879/880?
11al-⁠Battānīβ Sco227° 50′879/880?
12Copernicα Vir197° 14′1515?
13Copernicα Vir197° 21′1525-04-16 ?2278170 ?

Copernic sépare les observations d’une même étoile par période. Ainsi, dans le tableau ci-⁠contre, les observations 1 et 9 ont une différence de 4° 20′ en 432 ans, soit environ 1° par 100 ans. De même, entre 4 et 7, on a 2° 40′ en 266 ans, soit environ 1° par 100 ans encore une fois. Toutefois, entre 6 et 11, on a 11° 55′ en 782 ans, soit environ 1° en 66 ans. Cette vitesse de changement est presque la même que celle entre 9 et 11, de 11° 30′ en 741 ans, soit environ 1° en 65 ans. Enfin, Copernic mentionne une différence de 9° 11′ en 645 ans entre une observation réalisée par al-⁠Battānī et une réalisée par lui-⁠même (dont au moins une n’est pas mentionnée dans le texte), pour un taux d’environ 1° en 71 ans. La précession aurait donc été lente, puis plus rapide, pour à nouveau ralentir par après. (À noter que si Copernic avait considéré chaque différence, il aurait peut-être constaté que les mesures de ses prédécesseurs allaient dans tous les sens…)

Cela amène Copernic à croire que la précession est composée de deux mouvements : un régulier, d’environ 50″ par année (voir ci-⁠dessous), et un cyclique, faisant en sorte que la précession totale se trouve parfois être supérieure et parfois inférieure à cette valeur moyenne. L’idée n’est pas nouvelle, puisque déjà Théon d’Alexandrie écrivait, au quatrième siècle  :

Les anciens astrologues (Οἱ παλαιοὶ τῶν ἀποτελεσματιϰῶν) prétendent, sur quelques conjectures, que les points tropiques s’avancent vers l’Orient de huit degrés pendant une certaine durée, et qu’ils reviennent ensuite au lieu où ils se trouvaient. Cette supposition ne paraît pas véritable à Ptolémée ; lors même qu’on n’admet pas cette hypothèse, les calculs moyens faits par les tables s’accordent avec les observations faites par les instruments ; aussi n’admettons-nous pas non plus cette correction. Toutefois, nous allons exposer la méthode que ces astrologues suivent en leur calcul.

Ils comptent 128 années avant le règne d’Auguste ; ils regardent l’instant ainsi obtenu comme l’instant où cette marche de huit degrés vers les signes suivants [vers l’Orient] a atteint sa plus grande valeur, et où a commencé le retour en arrière . À ces 128 années, ils ajoutent les 313 années écoulées depuis le règne d’Auguste jusqu’au règne de Dioclétien, et les années parcourues depuis Dioclétien ; ils prennent le lieu qui correspond à cette somme d’années, en admettant qu’en 80 ans, le lieu se déplace d’un degré ; ils retranchent de 8 degrés le nombre de degrés obtenu par cette division [du nombre d’années par 80 ] ; le reste marque le degré jusqu’où les points tropiques sont alors avancés ; ils ajoutent ce reste aux degrés que les calculs susdits donnent pour le lieu du Soleil, de la Lune ou des cinq planètes.

Le mouvement fut d’abord décrit comme motus accessus et recessus octave sphere (« mouvement d’avance et de recul de la huitième sphère »). Nothaft (2018) indique que « [a]utant qu[’il a] pu constater, le premier texte latin à employer le terme trepidatio pour décrire le mouvement de la huitième sphère était Tractatus de accessu et recessus motus octave spere de Nicolaus Comes de Comitibus, écrit en 1450 [ . . . ] ».

Pour en revenir à Copernic, il devait trouver un « mécanisme » permettant d’expliquer à la fois la trépidation et la variation de l’obliquité de l’écliptique. al-⁠Zarqālī avait proposé des petits cercles situés près des équinoxes, et auxquels l’écliptique aurait été attaché. Avec un rayon de 0;10° et un cycle de 1 850 ans, ils auraient fait « monter » et « descendre » l’écliptique par rapport à une position moyenne. Mais ce modèle ne convenait pas à Copernic, puisqu’il avait dérivé des périodes de 1 717 ans pour la variation de l’anomalie en précession, et de 3 434 ans pour la variation de l’obliquité de l’écliptique ; de plus, l’amplitude des deux mouvements aurait été la même. Une ellipse aurait permis deux amplitudes différentes, mais toujours la même période ; toutefois, une combinaison de deux ellipses permettait d’obtenir deux périodes différentes et deux amplitudes différentes — la solution retenue par Copernic est un lemniscate de Gerono, bien que cette forme et ce terme lui aient été inconnus, Gerono ayant vécu de 1799 à 1891 (la forme a aussi été décrite par Christiaan Huygens [1629–1695]).

2. Mécanisme imaginé par Copernic · Le point désigne l’équinoxe vernal moyen. Il est animé d’un mouvement uniforme, la précession des équinoxes, vers la gauche, mais non illustré ici. De plus, on croyait alors à une inégalité cyclique de ce mouvement. Pour l’expliquer, Copernic a imaginé qu’une petite roue se trouvait à l’équinoxe moyen , entraînant le point B, centre d’une seconde roue de diamètre égal, mais tournant en sens opposé et à deux fois la vitesse de la première, portant le point N′, auquel est attaché l’équateur vrai. Par conséquent, l’équinoxe vrai se trouve en V, point qui se déplace de gauche à droite le long de l’écliptique. Voir aussi le diagramme 3 ci-⁠dessous pour une vue d’ensemble.
Adapté de Swerdlow et Neugebauer (1984), p. 583 V N N′ B ⏯️ M Écliptique Équateur moyen Équateur vrai

La question se posait alors à Copernic de savoir comment produire ladite lemniscate, mais il connaissait le couple d’al-⁠Ṭūsī, et c’en est une variation qu’il imagina se trouver à proximité des équinoxes, tel que l’illustre l’animation ci-⁠contre. Swerdlow et Neugebauer (1984) indiquent que Copernic a fort probablement pris connaissance de ce principe lors de ses études à Padoue (1501–03) ; aussi, Giovan Battista Amico a publié en 1536 De motibus corporum coelestium iuxta principia peripatetica sine eccentricis et epicyclis qui mentionne le couple d’al-⁠Ṭūsī.

Ce petit cercle est très petit : Copernic détermine que la différence maximale entre la position apparente et la position moyenne des équinoxes est de δPₘₐₓ = V̅Vmax = 1° 10′. Avec une obliquité de l’écliptique moyenne de ε̄ = V̅VN′ = 23° 28′, on a donc comme rayon des petits cercles VN′max = sin ε̄ · 1° 10′ ≈ 0° 28′. Il est sous-entendu qu’il n’existe qu’un seul tel couple, au point vernal — ou qu’un autre, au point automnal, est en position opposée — de sorte que le pôle nord de l’équateur se déplace graduellement le long de la droite V̅N′N. Enfin, l’angle MV̅B augmente uniformément au taux 2ϑ, tandis que l’angle V̅BN′ augmente au taux uniforme 4ϑ, soit un rapport de 2:1 caractéristique du couple d’al-⁠Ṭūsī.

Équateur moyen Équateur vrai V Adapté de Swerdlow et Neugebauer (1984), p. 581 N π et ϑ ☑️ π ϑ ☑️ ☑️

Prenons maintenant une vue d’ensemble de la sphère céleste (animation ci-⁠contre, qui est une reprise simplifiée du premier diagramme ci-⁠dessus), où les mouvements, par souci de clarté, sont amplifiés. Les boutons π et ϑ contrôlent respectivement la précession « habituelle » et la variation en précession, respectivement, le bouton supérieur démarrant ou arrêtant les deux à la fois (bien entendu, en réalité, ces deux mouvements se seraient toujours produits ensemble, mais j’ai choisi de rendre l’animation plus claire en permettant d’isoler chaque mouvement). On constate que le pôle nord de l’équateur, N, oscille autour d’une position moyenne le long de la petite ligne verte, qui correspond à un segment du grand cercle W̅N̅V̅ de la Figure 1, et qui est toujours tangente au cercle gris centré sur E. De même, le point où l’équateur vrai est « accroché » au petit cercle qui le porte (près de ) se déplace le long de la petite ligne verte centrée sur . Copernic estime la durée du cycle de précession à quelque 25 800 ans, et celle du cycle d’anomalie à 3 434 années égyptiennes de 365 jours ; l’animation se déroule donc au rythme d’environ 100 ans par seconde.

Tableaux de la précession

Le premier tableau du Livre 3 est celui de la composante uniforme de la précession. Puisque Copernic évalue celle-⁠ci à 0° 00′ 50″ 12′ 05″ par année, ce tableau se résume simplement à l’addition de cette valeur par le nombre d’années écoulées ; Copernic donne aussi des tableaux pour la précession par jour, de 1 jour à 60 jours. Je ne reprends donc pas ce tableau, puisqu’il est trivial.

Le second tableau est celui de la composante inégale de la précession, que Copernic appelle l’« anomalie ». Celle-⁠ci est cyclique, en ceci que sa valeur est déterminée par δP = δPₘₐₓ · 2ϑ, où δPₘₐₓ = 1° 10′ et ϑ augmente au taux de 0;06,17,24,09°/an. Étrangement, Copernic donne un tableau de ϑ, qui augmente uniformément, mais pas de tableau pour δP en fonction du nombre d’années. Le tableau pour δP est plutôt donné en fonction de 2ϑ (et non pas ϑ) allant de 0° à 180°, ce qui est une provision suffisante pour plusieurs siècles, puisque les 360° du cercle ne sont couverts qu’en 3 434 ans !

Ce second tableau donne aussi un facteur de correction à ajouter à l’obliquité de l’écliptique, que Copernic considère varier cycliquement en 3 434 ans aussi. La valeur du tableau est c = 0;30 · (1 + cos ϑ), ce qui est tout de même étrange, puisqu’on doit ensuite multiplier c par 0;24° pour obtenir la correction à appliquer à ε (on a donc ε = 23;28° + c · 0;24°). Même ce tableau ne vaut pas la peine d’être recalculé ici, puisque Copernic n’y fait aucune erreur autre que d’arrondissement.

Tableaux du mouvement solaire

Copernic propose plus loin le tableau du mouvement uniforme du Soleil, suivi du tableau de son mouvement composé. Il estime le premier à 359;44,49,07,04°  par année égyptienne de 365 jours, soit 0;59,08,11,22°/j, en longitude sidérale. Puisque le premier tableau n’est composé que par l’addition de cette période, il est trivial et je ne le reproduis pas ici. Copernic n’y fait aucune erreur autre que d’arrondissement, mais cela semble cyclique ; c’est probablement qu’il accumulait les fractions avant de les compter comme une unité complète. Le tableau est double, une première page indiquant le mouvement par année, de 1 à 60 années, la seconde indiquant le mouvement par jour, de 1 à 60 jours.

Le tableau du mouvement composé correspond au mouvement uniforme, auquel Copernic ajoute la précession, qu’il estime à 0;00,50,12,05° par année. Cela donne 359;45,39,19,09° par année de longitude tropique, et encore une fois, le tableau résulte simplement de l’addition successive de cette valeur, et je ne le reproduis donc pas ici, les seules erreurs résultant encore de l’arrondissement.

On trouve ensuite un tableau du mouvement en anomalie du Soleil, que Copernic détermine être de 359;44,24,46,50° par année, mais encore une fois, ce n’est qu’un tableau d’addition. Cette valeur résulte de la soustraction du mouvement de l’apogée solaire, soit 0;00,24,20,14° par année selon Copernic, du mouvement en longitude du premier paragraphe.

4. Mouvement simple de la Terre autour du Soleil · Ceci est l’équivalent du modèle de Ptolémée (voir l’Almageste, Livre 3), mais en plaçant le Soleil S plutôt que la Terre T au centre O.
κ̄ λ̅ T S O A Π ⏯️

Préambule à la suite

Dans le modèle de Copernic pour le mouvement de la Terre autour du Soleil, celle-⁠ci se déplace sur un cercle décentré par rapport au Soleil, un reflet exact du modèle de Ptolémée, mais en changeant de point de référence. Puisque, dans le diagramme, la longitude moyenne de la Terre augmente uniformément, on doit la corriger d’un angle OTS (positif dans le sens antihoraire) pour obtenir la longitude vraie. Cet angle est calculé par la formule  tan c = e sin κ̄R + e cos κ̄κ̄ est le centrum moyen, c’est-⁠à-⁠dire l’angle AOT, à ne pas confondre avec la longitude moyenne λ̅, qui est l’angle OT et donc égale à κ̄ + λA, où λA est la longitude de l’apogée, soit l’angle OA.

Mais Copernic constate qu’un tel modèle ne peut expliquer toutes les observations de ses prédécesseurs, et que la ligne de l’apogée terrestre (ou solaire, d’un point de vue géocentrique) doit bouger, contrairement à ce qu’avait conclu Ptolémée. Mais :

alij motum octauæ ſphæræ ſequi, ſecundum quod ſtellas quo fixas moueri cenſuerunt. Arzachel opinatus eſt hunc quo inæqualem eſſe, utpote quẽ etiã retrocedere cõtingat, hinc ſumpto indicio, ꝙ cum Machometus Arateñ. ut dictũ eſt, inueniſſet apogeum ante ſolſtitium ſeptem gradibus, xliii. ſcrup. quod antea à Ptolemæo in dccxl. annis per gradus propè xvii. proceſſerat, illi poſt annos cc. minus vii. ad grad.iiii. s.ferè retroceſsiſſe uiderẽt, ob id´ alium quendam putabat eſſe motum centri orbis annui, in paruo quodam circulo ſecundum quem apogeum ante & pone deflecteret, ac centrum illius orbis à centro munti diſtantias efficeret inæquales. Pulchrum ſanà inuentum, ſed ideo non receptum, quòd in uniuerſum collatione cæteris non cohæreat. Quemadmodum ſi ex ordine ipſius motus ſucceſsio conſideretur, quòd uidelicet aliquandiu ante Ptolemæum conſtiterit, quòd in annis dcxl. uel circiter per gradus xvii. trãſierit, deinde quòd in annis cc. repetitis iiii. uel v. gradibus in reliquũ tempus ad nos uſ progrederetur, nulla alia in toto tempore regreſsione percepta, ne pluribus ſtationibus quas motibus cõtrarijs hinc inde neceſſe eſt interuenire. Quæ nullatenus poſſunt intelligi, in motu canonico & circulari. Quaproter creditur à multis, illorum obſeruatiõibus error aliquis incidiſſe. Ambo quidem Mathematici ſtudio & diligẽtia pares, ut in ambiguoſit, quem potius ſequamur.

Copernic, De revolutionibus, Livre 3, Chapitre xx.

d’autres pensaient que [la ligne de l’apogée] accompagne le mouvement de la sphère des étoiles, conformément à leur doctrine que les étoiles fixes se meuvent aussi. al-⁠Zarqālī croyait à la non-uniformité de ce [mouvement], qui a même régressé. Il s’est appuyé sur les éléments de preuve suivants. al-⁠Battānī avait trouvé l’apogée, comme on l’a dit plus haut, à 7° 43′ d’avance sur le solstice : en 740 ans depuis Ptolémée, il avait avancé de près de 17°. Au cours des 193 années qui ont suivi, il a semblé à al-⁠Zarqālī avoir rétrogradé d’environ 4½°. Il croyait donc que le centre de l’orbite annuelle avait un mouvement supplémentaire sur un cercle. En conséquence, l’apogée était dévié d’avant en arrière, tandis que la distance entre le centre de l’orbite et le centre de l’univers variait.

L’idée [d’al-⁠Zarqālī] était assez ingénieuse, mais elle n’a pas été retenue car elle est en contradiction avec les autres découvertes prises dans leur ensemble. Ainsi, considérons les étapes successives de ce mouvement. Pendant un certain temps avant Ptolémée, il s’est arrêté. En 740 ans environ, il a progressé de 17°. Puis, en 200 ans, il a rétrogradé de 4° ou 5°. Par la suite, jusqu’à notre époque, il a augmenté. Toute la période n’a connu aucune autre régression ni les quelques points stationnaires qui doivent intervenir aux deux limites lorsque les mouvements inversent leur sens. [L’absence de] ces [régressions et points stationnaires] ne peut pas être comprise dans un mouvement régulier et circulaire. Par conséquent, beaucoup pensent qu’une erreur s’est produite dans les observations de ces [astronomes, c’est-⁠à-⁠dire al-⁠Battānī et al-⁠Zarqālī]. Les deux [étaient] des praticiens également habiles et prudents, de sorte qu’il est douteux de savoir lequel nous préférerions suivre.

traduction libre de la version anglaise de Rosen (1978)

De plus, Copernic est motivé dans ses travaux par un ouvrage publié en 1496, mais débuté par Georg von Peuerbach [1423–1461] et complété par Johannes Müller von Königsberg (dit Regiomontanus) [1436–1476] vers 1462, soit l’Épitome de l’Almageste de Ptolémée, où on peut lire (Livre III, Chapitre 13)  :

Albategni reperit ecẽtricitatẽ duarũ partium, quatuor minutorum, quadragintaquinque ſecundorum, arcum bh ſeptem graduum, quadragintatriũ minutorum. Azacel autẽ licet motũ medium uariauit, tamẽ eandem quã Albategni inuenit ecentricitatem. Sed archum bh, duodecim graduũ, decẽ minutorum. Quod certè mirũ apparet, cum Arzacel poſt Albategni fuerit. Inde igitur cuius obſeruationi fidẽ habeas, Albategni ab æquinoctio uernali ad ſolſtitium ęſtiuum inuenit 93. dies, 14. horas ferè. Sed ab ęquinoctio uernali ad autumnale 186. dies, 14. horas, 45. minuta. Idèo poſuit maximam æquationem ſolis 1. grad. 59. minut. 10. ſec. Arzacel poſt Albategni 193. annis, 402. conſiderationes fecit circa p~ucta quatuor media, inter puncta ęqualitatis & ſolſtitiorum, & reperit bh eſſe 12. partes 10. minuta. Idèo coactus fuit dicere quod centrum eccentrici Solis moueretur in circulo quodam paruo, uelut in Mercurio habetur.

al-⁠Battānī a trouvé que l’excentricité était de 2° 04′ 45″, et l’arc bh [entre le solstice d’été et l’apogée] de 7° 43′. Toutefois, al-⁠Zarqālī, bien qu’il ait changé le mouvement moyen, a néanmoins trouvé la même excentricité qu’al-⁠Battānī, mais a calculé l’arc bh comme de 12° 10′, ce qui est certainement remarquable puisqu’al-⁠Zarqālī a vécu après al-⁠Battānī. Mais lequel croire ? al-⁠Battānī a compté 93 jours et 14 heures environ entre l’équinoxe vernal et le solstice d’été, mais de l’équinoxe vernal à l’équinoxe automnal 186 jours 14 heures 45 minutes, et il a déterminé que l’équation maximale du Soleil était de 1° 59′ 10″. al-⁠Zarqālī, 193 ans après al-⁠Battānī, a réalisé quatre observations près des quatre points médians entre les équinoxes et les solstices, et a mesuré bh comme valant 12° 10′. Cela l’a mené à affirmer que le centre de l’excentrique du Soleil se déplace sur un petit cercle tout comme celui de Mercure.

Copernic prend cela pour argent comptant, mais Swerdlow et Neugebauer (1984) indiquent que le texte contient des erreurs factuelles et d’interprétation. Quoi qu’il en soit, il échafaude trois modèles dont il démontre l’équivalence, et qui sont illustrés par les animations ci-⁠dessous (qui occupent 1200 pixels de large ; attention à la taille de votre écran). Un quatrième modèle (non illustré) place le Soleil sur un épicycle central. Cela amène Swerdlow et Neugebauer à affirmer « que le Soleil vrai ne peut pas être localisé, le centre du monde ne peut pas être déterminé, en faisant appel à la théorie planétaire de Copernic », mais celui-⁠ci opte tout de même pour un modèle qu’il considère être le bon, avec un Soleil fixe. Toutefois, la démonstration qu’il fait de ce modèle n’est « rien de plus qu’un acte de foi », selon Swerdlow et Neugebauer.

5. Trois modèles équivalents du mouvement de la Terre autour du Soleil · Dans l’animation de gauche, avec deux épicycles, C1 complète une révolution par année sidérale ; C2, une révolution par année anomalistique par rapport à la ligne SC1, et en sens inverse de C1 ; et E, une révolution par période de 3 434 ans de l’anomalie de l’obliquité par rapport à la ligne C1C2. Au centre, on a un épicycle excentrique. En fermant le parallélogramme SC1C2F, on constate que le modèle de gauche est équivalent à ce que le premier épicycle tourne sur un cercle décentré d’une excentricité SF = e1 égale au rayon de C1, et qui complète un tour en quelque 58 250 ans. C2 se trouve donc à décrire un cercle de rayon R autour de F, et r2 complète sa révolution en 3 434 ans encore une fois. À droite, on a un double excentrique. Le parallélogramme EC2FG montre que l’effet du deuxième épicycle est équivalent à un excentrique central FG = e2 égal au rayon du deuxième épicycle, d’une période de 3 434 ans, et que E tourne maintenant sur un cercle de rayon R autour de G. Les mouvements sont ici accélérés afin de les mettre en évidence. Le bouton du haut inverse l’état des trois animations en même temps ; c’est-⁠à-⁠dire qu’il lance celles qui sont arrêtées et arrête celles qui sont animées.
⏯️ S C₁ C₂ E ⏯️ S F C₁ C₂ E ⏯️ S F G C₁ C₂ E ⏯️
6. Modèle de Copernic pour le mouvement de la Terre · L’animation est grandement accélérée : une seconde équivaut à environ 100 ans. Cela fait en sorte que la Terre (point T) semble se déplacer très lentement, elle fait réellement environ 100 tours par seconde. Le Soleil (point S) est fixe au centre (c’est pourquoi le diagramme est dans la partie inférieure du cadre au départ).
S F A Γ Γ̅ G T ⏯️ Pas à l’échelle

Loin de simplifier les choses, le modèle de Copernic introduit donc une seconde « anomalie » ou « inégalité », comme l’illustre l’animation ci-⁠contre. La Terre est en T et le Soleil en S ; il est fixe, mais la ligne de l’apogée (ou plutôt, de l’aphélie) SF tourne lentement dans le sens antihoraire, de 0;00,24,20,14° / année égyptienne de 365 jours . La droite FG tourne aussi, au rythme de 0;06,17,24,09° / année égyptienne. Enfin, la droite GE complète un tour par année — soit 359;44,49,07,04° / année égyptienne par rapport au point 0° de longitude, soit l’étoile γ Ari ; cela correspond à 359;44,24,46,50° / année égyptienne si on mesure par rapport à la direction de l’apogée.

La tâche consiste maintenant à calculer la longitude réelle de la Terre par rapport au Soleil, soit l’angle ES ; on peut s’en douter, de la trigonométrie sera de mise ! Suivant l’usage établi par Swerdlow et Neugebauer (1984), j’utiliserai les termes et symboles suivants :

Heureusement pour quiconque lit De revolutionibus, Copernic a déjà tout calculé et inclus dans des tableaux…

Tableau des prostaphérèses solaires

Copernic reprend un terme utilisé par Ptolémée, soit « prostaphérèse », du grec ancien προσθαφαιρέσεις, lui-⁠même de πρόσθεσις « addition » et ἀφαίρεσις « soustraction », qui désignait dans l’Almageste une correction à ajouter ou à soustraire d’une quantité moyenne pour obtenir la quantité vraie. Son tableau se divise en six colonnes, dont quatre sont identifiées ci-⁠dessus : c3, c4, c5, et c6, soit la prostaphérèse centrale, les minutes proportionnelles, la prostaphérèse orbitale, et les excès. Les deux premières colonnes sont les « nombres communs », c’est-⁠à-⁠dire la quantité pour laquelle on recherche la valeur correspondante : de 0° à 180° dans la première, et de 360° à 180° dans la seconde, puisqu’une moitié du cercle est le reflet de l’autre — la seule différence est qu’on ajoute si le « nombre commun » est dans la première colonne, mais on soustrait s’il est dans la seconde .

Nombres communsProstaphérèse centraleMinutes propor-tionnellesProstaphérèse orbitaleExcès Nombres communsProstaphérèse centraleMinutes propor-tionnellesProstaphérèse orbitaleExcès
DegrésDegrésDegrésMinutesDegrésMinutesMinutes DegrésDegrésDegrésMinutesDegrésMinutesMinutes
33570216000602932677273015033
63540416001104962647282915033
93511026001705992617282715032
1234812259022071022587272614932
1534514359028091052557252414731
1834220359033111082527212314631
2133922358038121112497162114430
2433624258044141142467092014229
2733330257049161172437011814028
3033032156054171202406521713728
3332733956059191232376421513427
3632435755103201262346301413126
3932141554108211292316171212824
4231843253112231322286031112423
45315449521162413522554701012022
4831250551120251382225300911621
5130952050124261412195120811120
5430653549128271442164530610718
5730354948131281472134330510217
6030060246134291502104120505715
6329761545137301532073490405214
6629462644139311562043260304612
6929163742142311592013020204111
7228864741144321621982380203509
7528565640146321651952120102908
7828270438147331681921460102406
8127971137148331711891200001805
8427671635149331741860540001203
8727372133150331771830270000602
9027072532150331801800000000000
7. Erreurs dans le tableau de la prostaphérèse solaire
Erreur (minutes d’arc) « Nombres communs » (degrés) −03 −02 −01 00 01 02 03 04 05 0 30 60 90 120 150 180 c3 c4 c5 c6

Copernic conclut le Livre 3 en parlant de la durée variable du jour et de la nuit au cours de l’année, ainsi que de l’équation du temps, mais comme il ne donne pas de tableau en lien avec ces sujets, je ne reprends rien ici.


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Dernière mise à jour : 2024-07-17 à 00 h 51 UTC