Virtuellement tous les astronomes, amateurs ou professionnels, ont entendu parler de l’Almageste, mais peu l’ont lu. De cet ouvrage, écrit par le mathématicien et astronome grec Claude Ptolémée après environ l’an 150 ÈC, il n’existe, à ma connaissance, qu’une seule traduction française, publiée en 1813 et 1816 par Nicolas Halma [1755–1828] et rééditée en 1988 par Jean Peyroux [1925–2012]. Elle est toutefois « très fautive » selon certains — ce que j’ai pu constater moi-même en faisant la présente traduction : il y a énormément d’erreurs de transcription ; par exemple, « 4;25 » en français alors que la version grecque a δ λεʹ (4;35) — parfois, la suite n’a aucun sens, comme 701⁄2 doublé qui devient 1402⁄3. De plus, la langue française ayant évolué depuis deux siècles, plusieurs tournures de phrases d’Halma sont difficiles à comprendre ; je suis donc d’avis qu’une nouvelle traduction française est nécessaire, et c’est ce que je contribue ici, sous le format d’un site web plutôt qu’en PDF ou sur papier, pour profiter des avantages reliés à ce média, comme la possibilité de faire des animations ou des diagrammes interactifs. Aussi, plutôt que de « rafraîchir » la version d’Halma, j’ai préféré me baser sur la version anglaise publiée en 1984 par Gerald James Toomer (et rééditée en 1998 avec une nouvelle préface d’Owen Gingerich ainsi que des corrections) ; toutefois, pour l’interprétation de divers passages, j’ai régulièrement consulté la version française d’Halma, mais aussi une version allemande par Manitius ainsi que six manuscrits différents en grec (voir un exemple de page ci-dessous) :
Munich BSB gr. 212 (datant d’entre 1340 et 1345)
Paris BnF gr. 2389 (9e siècle)
Paris BnF gr. 2390 (13e siècle)
Vat. gr. 180 (10e siècle)
Vat. gr. 184 (13e siècle), et
Vat. gr. 1594 (9e siècle).
D’autres manuscrits des treizième au seizième siècles ont aussi été trouvés en ligne et parfois téléchargés.
Quelques remarques historiques, d’abord…
Ptolémée adresse l’ouvrage à un certain Syrus, dont on ne sait rien — même pas s’il était réel ou fictif ; même les documents contemporains à Ptolémée sont dans le brouillard à ce sujet. Certains supposent qu’il était le frère de Ptolémée, mais rien n’est moins certain. Il est mentionné au début du Livre 1, au début du Livre 7, ainsi qu’à la toute fin de l’ouvrage, dans le Livre 13.
Ptolémée ignorait les termes de trigonométrie moderne, et il utilise donc la notion de corde, qui est la droite sous-tendue par les deux extrémités d’un angle intérieur à un cercle, ou par les extrémités d’un arc de cercle — en termes modernes, nous pouvons écrire que crd θ = 2 sin θ⁄2.
Puisque Ptolémée faisait ses démonstrations avec des phrases complètes — style que maintient Halma —, elles peuvent sembler lourdes à qui les lit aujourd’hui ; c’est pourquoi j’ai le plus souvent préféré utiliser la notation mathématique moderne, à l’image de Toomer. Quelques symboles à connaître sont indiqués dans le tableau ci-contre.
La coutume à l’époque était de représenter les proportions trigonométriques pour un diamètre de 120 unités (soit un rayon de 60 unités), plutôt que pour un rayon de 1 unité comme nous le faisons aujourd’hui. Le « saut » d’un système à l’autre était alors relativement facile, puisque l’on utilisait le système de numération sexagésimal mésopotamien. Ainsi, tant 1 que 60 étaient représentés par le caractère 𒁹, bien que celui-ci ait été appelé DIŠ quand il représentait 1, et GEŠ2 quand il représentait 60 ; pour 10, le caractère était 𒌋. Les Mésopotamiens n’ayant pas de symbole pour zéro, un nombre pouvait représenter n’importe quelle puissance (positive ou négative) du nombre 60, et seul le contexte pouvait aider à déterminer la « position » réelle du nombre. Par exemple, 𒎙𒐈𒌋𒑆𒐐𒑆 pouvait représenter, entre autres, 23 + (19 · 60−1) + (59 · 60−2) = 23,3330555…, (23 · 60) + 19 + (59 · 60−1) = 1 399,98333…, (23 · 60−1) + (19 · 60−2) + (59 · 60−3) = 0,388884259259259…, etc. La coutume aujourd’hui est de séparer chaque groupe par des virgules, sauf pour la partie entière, qui est séparée des fractions par un point-virgule ; ainsi, 23;19,59 = 23,3330555…, tandis que 23,19;59 = 1 399,98333… Puisque Ptolémée utilise ce système, c’est celui qui est utilisé ici.
Ptolémée arrondit souvent les valeurs obtenues dans ses calculs. Par exemple, il a (livre 2, chapitre 7) (70;32,03 : 97;04,56) ÷ (117;31,15 : 24;15,57) = 18;00,05 : 120, tandis que le calcul donne plutôt 18;00,07,17,59 : 120.
Les diagrammes sont (généralement) annotés dans l’ordre alphabétique grec plutôt que le nôtre. L’ordre est donc Α, Β, Γ, Δ, Ε, Ζ, Η, Θ, (le Ι est omis), Κ, Λ, Μ, Ν, Ξ, Ο, Π, Ρ, Σ, Τ, Υ, Φ, Χ, Ψ, et Ω, que nous transcrivons ici par A, B, G, D, E, Z, H, Θ, (I omis), K, L, M, N, J, O, P, R, S, T, U, F, X, Ψ, et Ω.
Ptolémée n’utilise que rarement, sinon jamais, le terme « écliptique », mais plutôt l’expression « cercle oblique » (le « cercle droit » étant sous-entendu comme étant l’équateur) ou « cercle mitoyen du zodiaque » — il est vrai que le zodiaque se situe de part et d’autre de l’écliptique et, bien que les constellations qu’il renferme aient une étendue différente au nord et au sud de l’écliptique, la bande appelée zodiaque a aujourd’hui plus trait à l’astrologie qu’à l’astronomie, et est de largeur fixe et égale sur tout son long. J’ai néanmoins utilisé autant « écliptique » que « zodiaque » dans la traduction.
La mesure des angles était alors légèrement différente de ce qu’elle est aujourd’hui, et Ptolémée spécifie parfois qu’un cercle spécifique a 360°. Une autre possibilité est qu’il ait 180 degrés, mais nous parlons alors de degrés de temps, que j’ai choisi de représenter par le symbole ꝏ.
Ptolémée commet aussi l’erreur fondamentale de croire la Terre fixe et immuable au centre de l’univers — un concept qui perdurera encore pendant près de 1 500 ans avant que Nicolas Copernic définisse un modèle physique et mathématique posant le Soleil au centre du système solaire, et encore près de 400 ans avant que les découvertes de Robert Trumpler et Harlow Shapley placent le Soleil en périphérie de la galaxie, puis qu’Edwin Hubble comprenne que notre galaxie n’est pas la seule, bien au contraire, ni située au centre de l’Univers…
Certaines constellations sont nommées différemment par Ptolémée (voir aussi le catalogue d’étoiles aux Livre 7 et Livre 8) :
Balance
Χηλαί
Les Pinces [du Scorpion]
Cygne
Ὄρνις
Oiseau (sans référence à l’espèce)
Éridan
Ποταμός
La Rivière (sans nom)
Grand Chien
Κύων
Le Chien (sans référence à la taille)
Hercule
Ἐνγόνασι
L’Agenouillé
Loup
Θηρίον
L’Animal sauvage
Pégase
Ἵππος
Le Cheval (sans nom)
Petit Cheval
Ἵππου προτομή
Le Buste du Cheval
Petit Chien
Προκύων
Avant le Chien (sans référence à la taille)
Sagittaire
Τοξότης
L’Archer (sans référence à sa nature mi-homme, mi-cheval)
Divers icônes constituent des appels de notes ; dans tous les cas, placer la souris sur eux fera apparaître, après quelques secondes, la note en question. Ces icônes sont les suivantes : 👤 pour les notes biographiques, 🗒️ pour les notes générales, 🤔 pour les points discutables, et 🛑 pour les erreurs numériques de Ptolémée — toutes ces notes sont les miennes. De plus, 📄 identifie les notes de Toomer, dans les cas où j’ai jugé pertinent de les reproduire, et 📝 indique des notes par rapport à la traduction française de Halma. Enfin, 📈 indique qu’un graphique des erreurs de Ptolémée est disponible en cliquant sur l’icône, et 🌐 identifie les liens vers des sites externes.
La plupart des illustrations sont adaptées de celles de Toomer. Dans certains cas, je les présente en version animée ou interactive, ce qui était évidemment impossible auparavant. Certaines sont aléatoires, c’est-à-dire que si vous rafraîchissez la page ou la visitez à une autre occasion, les schémas seront (parfois légèrement, parfois davantage) différents. (Le premier diagramme se trouve au Chapitre 10 du Livre 1.)
Les valeurs numériques des tableaux sont celles de Ptolémée. Puisqu’il a fait ses calculs sans ordinateur ni même calculatrice, des erreurs ont pu se glisser dans celles-ci ; un lien vers des valeurs recalculées est souvent disponible dans ces cas, ou encore, un lien vers un graphique illustrant les erreurs de Ptolémée.
L’Almageste est constitué de treize livres, eux-mêmes divisés en plusieurs chapitres. Dans la table des matières située en haut à droite, chaque chapitre est cliquable pour y accéder directement.
Légende : 📜 Manuscrit · 📖 Livre ou chapitre de livre · 📰 Article · 🌐 Site web
AABOE, Asger Hartvig. « On the Babylonian Origin of Some Hipparchian Parameters. » Centaurus, Vol. 4, N° 2 (1955): 122–125.
BURNETT, Charles, Jan P. HOGENDIJK, Kim PLOFKER, et Michio Yano, éds. Studies in the History of the Exact Sciences in Honour of David Pingree, Leyde, Brill, 2004, 894 p., Vol. LIV de la série « Islamic Philosophy, Theology, and Science: Texts and Studies », H. Daiber et David Pingree, éditeurs, ISSN 0169-8729, ISBN 90 04 13202 3.
COPERNIC, Nicolas, De Revolvtionibvs orbium cœleſtium, Libri vi, Nuremberg, 1543, 196 f.rv.
EVANS, James. The History and Practice of Ancient Astronomy, New York, Oxford University Press, 1998, 480 p., ISBN 978-0-19-509539-5.
EVANS, James. « On the function and the probable origin of Ptolemy’s equant. » American Journal of Physics, Vol. 52, N° 12 (1984): 1080–1089.
GRASSHOFF, Gerd. The History of Ptolemy’s Star Catalogue, New York, Springer, 1990, 347 p., ISBN 978-1-4612-8788-9.
HALMA, Nicolas. Κλαυδιου Πτολεμαιου Μαθηματικη Συνταξις Composition Mathématique de Claude Ptolémée, Tome Premier, Paris, Henri Grand, 1813, réimprimé par Jean PEYROUX, 1988, 611 p.
HALMA, Nicolas. Κλαυδιου Πτολεμαιου Μαθηματικη Συνταξις Composition Mathématique de Claude Ptolémée, Tome Second, Paris, Henri Grand, 1816, réimprimé par Jean PEYROUX, 1988, 503 p.
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MANITIUS, Karl Heinrich August. Des Claudius Ptolemäus Handbuch der Astronomie, Vol. 2, Leipzig, Teubner, 1913, 446 p.
MANITIUS, Karl Heinrich August. Hipparchi In Arati et Eudoxi Phaenomena commentariorum libri tres, Leipzig, Teubner, 1894, 376 p.
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TOOMER, Gerald James. Ptolemy’s Almagest, Londres, Duckworth, 1984, 693 p., ISBN 0-7156-1588-2 ; réédition par Princeton, Princeton University Press, 1998, ISBN 978-0-691-00260-6.
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[Anonyme]. « 10. Febr. Gesammtsitzung der Akademie. » Monatsberichte der königlichen Preußischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin, Vol. 183 (1859): 182–186.